SNCM : La Commission européenne sanctionne le service public.
La Commission européenne, saisie par les dirigeants de Corsica Ferries France (CFF), a estimé, comme ces derniers, que la SNCM, délégataire de la convention de service public rédigée par les élus de la Collectivité territoriale de Corse (CTC), aurait perçu une compensation financière surévaluée et contraire aux règles européennes de la concurrence. Le service complémentaire ne se justifierait pas selon ces caciques du libéralisme pas plus que la continuité territoriale à propos de laquelle la même Commission expliquait déjà en 1986 qu’elle était incompatible avec l’Acte Unique.
La France est le seul pays en Europe à avoir maintenu une continuité territoriale que nos voisins sardes nous envient d’autant plus que la réduction de la maitrise public et de la régulation, au profit des opérateurs privés, a conduit chez eux à une augmentation exorbitante des tarifs. Dans un scénario comparable l’Exécutif territorial précédent a ouvert la desserte en 2002 et subventionné la CFF par l’aide sociale. Ce dispositif contestable, la Chambre régional des comptes (CRC) dans son rapport le démontre, sera maintenu et 150 M€, de subvention déguisée, accordés à CFF et/ou à sa holding genevoise.
Ce faisant, la CTC s’est retrouvée, d’une part, à devoir verser la compensation financière relative à l’exécution de la convention de délégation de service public (DSP), et d’autre part à alimenter une concurrence agressive des low cost contre ses délégataires dont les déficits se creuseront mécaniquement au-delà du compte prévisionnel arrêté en accord avec l’Office des transports de la Corse (OTC). Par anticipation l’Exécutif de droite a offert la justification juridique, permettant aux dirigeants de CFF, très procéduriers malgré ces cadeaux, d’attaquer la DSP en scindant les services en deux entités : service de base et service complémentaire.
Non seulement Toulon (à seulement 60 KM de Marseille), couvert par des conventions en obligation de service public (OSP) légères comme Nice, devenait l’instrument de l’écrémage du trafic passager mais également celui du transport de marchandises, jusqu’à conduire au déséquilibre financier de la DSP encadrée elle par des OSP contraignantes votées par l’Assemblée de Corse. En conséquence, un déficit structurel, 20 M€ selon les magistrats de la CRC, apparaîtra en 2008 dans les comptes de l’OTC encore excédentaires de 35 M€ en 2002.
L’argumentaire des libéraux, masquant cette gabegie, repose sur l’affirmation abondamment relayée selon laquelle pour se porter mieux il fallait mettre fin au monopole public et imposer à la SNCM une cure d’adaptation aux pratiques de dumping de ses concurrentes pensionnaires des paradis fiscaux et adeptes des pavillons de complaisances. La variable d’ajustement, pour ces visionnaires du recul social qu’ils habillent de modernité, c’est l’emploi et le statut. 950 postes ont été supprimés à la SNCM et l’ensemble des accords d’entreprise dénoncé par la direction. C’est pas mal en dix ans si on y ajoute la privatisation au parfum de scandale intervenue en 2005 sous le gouvernement Villepin Sarkozy lequel gèlera en 2008 l’enveloppe de continuité territoriale sans s’inquiéter des effets sur le budget de l’OTC également impacté par le prix du pétrole.
Le gouvernement a annoncé qu’il ferait un recours contre la décision de la Commission européenne. C’est le moins qu’il pouvait faire. Il dispose, c’est là le plus important, pour l’étayer du rapport de la CRC, du rapport de l’Inspection des finances (IGF) qui mettent en évidence quelques « distorsions de concurrence » dénoncées dans un rapport sénatorial mais inaperçues des commissaires européens. Le non recouvrement de la taxe sur les transports, la SNCM et la CMN ne sont pas concernées, n’a pas été pris en compte dans la sanction « anti monopole public » des commissaires européens. Comme nous pouvons nous en douter, ils ont agit, en dehors de toute pression des armateurs pour lesquels, chacun le sait, le fétichisme réglementaire est une seconde nature tant ils montrent de l’affection pour leurs personnels et du respect pour l’environnement.
Voila quelques raisons qui forcent l’étonnement lorsque, le Président de l’Exécutif, sans même contester les fondements de cette injonction européenne, vient simplement rappeler que le cahier des charges de la prochaine DSP a été amputé du service complémentaires précisément pour s’y préparer. C’est une surprenante façon de soutenir le recours du gouvernement, sinon d’avaliser les atteintes répétées à l’exercice d’une compétence essentielle de la CTC. Au-delà, c’est une forme de renoncement à une obligation élémentaire relevant de la continuité territoriale, arrachée par les Corses en 1976, après 20 années de combats, contre la médiocrité des compagnies privées défaillantes en tous domaines ou presque.
Aujourd’hui, la Commission européenne, saisie par les dirigeants de CFF, condamne la SNCM, créée à l’époque pour garantir le service public dans les deux sens toute l’année, avec l’intention de laisser aux opérateurs low cost la dernière part lucrative du trafic passager maintenu au départ de Marseille. Les opérateurs de la DSP, ainsi cantonnés à l’exécution des services déficitaires à l’année, n’auraient plus la possibilité de dynamiser leurs recettes et d’obtenir dans l’intérêt de la CTC, par la péréquation, une meilleure maitrise de la compensation publique qu’elle leur verse pour l’exécution des OSP.
450 000 passagers, pour l’essentiel des continentaux ne bénéficieraient plus d’un service public attractif et sûr parce que subventionné par la dotation de continuité territoriale cette ligne au budget de la Nation à laquelle ils contribuent comme tout citoyen français. Les principes républicains de solidarité nationale et d’égalité de traitement, le droit à se déplacer dans les mêmes conditions sur l’ensemble du territoire métropolitain ne leur seraient plus garantis par l’Etat et la CTC. Les Commissaires européens en allant à l’encontre de cette obligation confirment leur exaltation pour une Europe antisociale à l’égard des peuples et des travailleurs mais prévenante pour les monopoles privés et leurs spéculateurs attitrés. La CTC et le gouvernement doivent s’y opposer sans faux semblant.
Or, l’interview à France 3 Corse du président de l’OTC laisse dubitatif quand il hésite à lever le voile sur les opérateurs indélicats qui ont encaissé la taxe de transport et oublié ensuite de satisfaire totalement leur obligation fiscale à l’égard de la Corse. Le président de l’OTC ne peut, en effet, se contenter d’en faire un élément de pression sur les dirigeants de CFF qu’il invite à être moins procéduriers. Cette mise en garde ne peut être un critère de légalité recevable. Soit il s’agit d’erreurs, il est quand même question de plusieurs millions d’euros, cinq peut être six en trois ans, soit il s’agit de fraudes et à ce moment là les opérateurs au comportement délictueux doivent être sanctionnés, écartés de la desserte de la Corse et interdits de subvention comme le prévoit le code des marchés publics.
Devant l’Assemblée de Corse, le groupe des élus communistes et citoyens du Front de gauche a défendu plusieurs amendements visant à garantir la transparence des candidats à l’appel d’offres pour la DSP 2014-2023. C’était indispensable pour toutes les compagnies et, notamment quand il s’agit de filiales, pour leurs holdings. Nous avons été les seuls à voter cet amendement comme celui d’ailleurs demandant expressément que tout opérateur non à jour du recouvrement de la taxe de transport ne soit autorisé à candidater sur cet appel d’offres ou à conventionner en OSP.
La CTC et le gouvernement doivent faire entendre aux Commissaires européens les raisons d’organiser la desserte publique de la Corse, non comme un terrain de prédilection des opérateurs low cost peu scrupuleux, mais pour surmonter le handicap de l’insularité au service des usagers et des besoins de développement économique et social de la Corse. Cette démarche sérieuse se justifie au regard de la situation de pauvreté et de précarité qui affecte les ménages insulaires confrontés au chômage galopant et à la cherté de la vie persistante malgré les réfactions de TVA et le franco port intégré dans la continuité territoriale mais largement détournés de leur objectif d’intérêt général.
La sanction prononcée par la Commission européenne ne tombe pas au hasard, elle intervient au moment où les élus de l’Assemblée de Corse doivent délibérer, au terme de la négociation entre le président de l’OTC et les compagnies candidates à l’appel d’offres (CMN-SNCM, CFF), pour l’attribution de la DSP au départ de Marseille vers les cinq ports de Corse. La presse nationale et régionale s’est fait l’écho à plusieurs reprises des difficultés rencontrées. Selon le président de l’OTC, le groupement CMN et SNCM, 4000 emplois directs, est le seul à avoir fait une offre techniquement recevable mais économiquement intenable pour l’OTC dont le Conseil d’administration a voté un budget en déséquilibre (15 M€) en demandant au gouvernement de réindexer la dotation de continuité territoriale.
L’appel d’offres infructueux est par conséquent possible avec une part d’inconnue qui peut tourner rapidement au désastre économique et social en Corse comme sur le continent notamment à Marseille. Dans ce contexte la décision de la Commission européenne sanctionnant la SNCM à reverser 220 M€ fragilise un peu plus la compagnie confrontée à un projet complexe de transfert de capital sur Véolia Environnement. A ce jour, l’Etat et Transdev, contrôlée par la Caisse des dépôts et consignations (CDC), détiennent toujours 91 % du capital de la SNCM.
Par conséquent, le gouvernement a la possibilité d’affirmer une ambition politique forte en faveur de la marine marchande française et de l’industrie navale et contribuer au dénouement positif de cette situation par des mesures permettant de maintenir l’activité de la CMN et de la SNCM. Il lui appartient de faire légiférer en faveur du pavillon français premier registre pour le cabotage national, de réindexer l’enveloppe de continuité territoriale, d’agir pour le maintien de la CDC au capital de la SNCM par la participation de Transdev. Enfin, si comme il le dit, il veut assurer l’activité du chantier navale de Saint Nazaire, menacé par le retrait du coréen STX, il peut soutenir un plan de renouvèlement et de modernisation de la flotte de continuité territoriale destinée pour les dix prochaines années au service public entre le continent et la Corse.
Michel STEFANI