PADDUC phase 2
Contribution à la réflexion de l’atelier thématique n°3
Michel Stefani
Le lancement de la deuxième phase du PADDUC portant sur le PADD est une réussite dans le prolongement et l’esprit de co-élaboration qui l’ont précédé à travers les Assises du foncier et du Logement suivies des Assises du littoral. L’adoption des axes stratégiques, par l’Assemblée de Corse le 26 juillet dernier, constituait la trame des ateliers thématiques de cette journée de lancement de l’élaboration du PADD. L’atelier numéro 3 portait sur « les différentes formes et niveaux de dépendance institutionnelle et financière ». Les échanges ont évoqué essentiellement la réforme institutionnelle et constitutionnelle, la fiscalité, la co-officialité et la continuité territoriale.
Dans le cadre de cette réflexion une étude d’opinion a été réalisée en juillet 2012. Elle permet à partir des 3 700 réponses recueillies de tirer plusieurs enseignements relatifs aux attentes exprimées. L’emploi est ainsi celle qui, avec le logement, revient le plus fréquemment. Avec 20 000 demandeurs d’emplois et 8 000 demandes insatisfaites de logements sociaux cela se comprend. Le simple constat dans ces conditions et plus encore dans le contexte de crise économique profonde ne peut avoir valeur de réponse. La prise en compte indispensable passe, par des mesures, des choix politiques à la fois au plan régional et au plan national mettant en cause l’austérité et sa déclinaison à chaque niveau de décision politique (Europe Etat Région). Sans parler de la Grèce, de l’Espagne ou de l’Italie, la potion administrée à Chypre en est l’exemple récent le plus significatif.
A cette crise du capitalisme s’ajoute le scepticisme grandissant à l’égard de la représentation politique. La Corse n’est pas la seule à souffrir de l’assèchement démocratique produit par la Constitution de 1958 et ses prolongements le présidentialisme et le bipartisme. La France entière y est confrontée. C’est pourquoi nous avançons l’idée d’une nouvelle République unie, solidaire et éthique au cœur de laquelle nous plaçons la Corse sa culture et son identité sa spécificité de région insulaire métropolitaine. Cela relativise la notion de dépendance et la capacité propre de la Corse de trouver seule des solutions à la problématique sociale et aux inégalités grandissantes découlant du modèle économique promu ces 30 dernières années. Si des atouts sont à valoriser, comme la beauté des sites, des exemples industriels à souligner comme CCA, des succès incontestables comme la viticulture, il n’en demeure pas moins nécessaire d’affirmer les objectifs et le cadre dans lequel on prétend définir ce projet de PADDUC.
Pour ce qui nous concerne les objectifs impliquent de réorienter la politique de la CTC en faveur d’un développement industriel et agricole générateur d’emplois stables et rémunérateurs. Nous pensons que le cadre national est celui, objectivement dans lequel, l’expression de la solidarité a le plus de pertinence pour le permettre. C’est le sens de nos propositions et de notre attachement à la continuité territoriale dont nous ne dirons jamais qu’elle est facteur de dépendance voire d’un comportement colonial de l’Etat.
D’abord elle est le fruit de longues années de revendications sociales et populaires pour obtenir un service public de transport de passagers et de marchandises régulier, aux capacités suffisantes, aux normes de sécurité performantes, aux tarifs maitrisés et accessibles. Ce que les opérateurs privés subventionnés ne garantissaient pas avant 1976. Ce n’est pas la continuité territoriale qui fait que la Corse importe 10 fois plus qu’elle n’exporte c’est l’absence de capacité industrielle. Ce dispositif unique en Europe était fondé sur le franco port pour les marchandises et un tarif pour les usagers comparable à celui kilomètre du train. C’était pour l’Etat la prise en compte du handicap lié à l’insularité.
La CTC a entière compétence en ce domaine et détermine les fréquences les capacités et les tarifs. Elle en a perdu la maitrise dans la fuite en avant sur le terrain de la concurrence investi à la fin de la convention de 25 ans en 2002. L’ouverture aux low cost dans l’aérien et le maritime est à l’origine d’un déficit structurel de 20 M€ apparut en 2007 puis aggravé par la surcharge combustible et le gel de la dotation en 2009. Les opérateurs historiques en subissent les conséquences, les travailleurs et les usagers en particuliers. Des centaines de postes de travail sont supprimés et les tarifs sont augmentés alors que le périmètre du service public est revu à la baisse.
Les opérateurs low cost n’ont plus qu’à faire main basse sur les parts de marché les plus profitables tout en exigeant des subventions publiques sous différentes formes l’aide sociale au passager, la promotion publicitaire, les remises sur les taxes portuaires et aéroportuaires, le non paiement de la taxe de transport reversée à la CTC. Comme pour les réfactions de TVA qui ne profitent pas aux consommateurs sur l’île, l’enveloppe de continuité territoriale est ponctionnée, au détriment des usagers, par des intermédiaires qui ne répercutent pas le franco port. Ici il ne s’agit pas de colonialisme mais bien de détournement d’argent public y compris par des entreprises locales. La difficulté ne vient donc pas de la constitution mais des choix politiques et économiques dont certains relèvent des élus de l’Assemblée de Corse et des chambres consulaires.
Si l’Assemblée de Corse avait renforcé le service public en remettant la DSP sur le port de Toulon après avoir supprimé l’aide sociale elle aurait imprimé une autre logique. Dans l’aérien elle aurait pu réduire la concurrence déloyale au départ de Roissy et demain sur le bord à bord. Il était possible de refuser aux opérateurs non respectueux des obligations fiscales l’accès aux appels d’offres comme nous l’avons défendu seuls. De même nous avons été battus sur le maintien du renouvellement des navires de la DSP à 20 ans. Nous aurions pu en relation et coopération avec d’autres régions et entreprises imaginer la fabrication en Corse de certains modules ou pièces de ces nouveaux navires.
La réforme institutionnelle n’est pas en soi une réponse à la crise au chômage à la cherté de la vie en un mot à la fracture sociale. Ce n’est pas d’elle non plus que la réorientation de la politique de la CTC viendra pour passer de la mono activité du tourisme à un développement harmonieux incluant l’agriculture, l’industrie et la planification écologique. Pour autant si nous ne l’écartons pas a priori force est de constater par ailleurs le flou qui entoure la demande d’une révision constitutionnelle. Ajouter une mention à l’article 72 spécifiant que la Corse est dans la République n’explique pas en quoi cette référence est indispensable. C’est vrai au regard de l’histoire au moment où nous commémorons le 70ème anniversaire de la Libération de la Corse comme des objectifs poursuivis s’agissant du pouvoir normatif et réglementaire.
En ce sens, nous sommes précis à propos de notre langue et de notre culture en demandant la co-officialité fondée sur un bilinguisme assumé, non discriminatoire. De même nous préconisons avec la création de l’EPF et de l’Agence de l’Urbanisme un transfert de la fiscalité sur les patrimoines. Dans les deux cas il faut une réforme de la constitution. Nous ne voulons pas d’une réforme pour le plaisir de la demander en dénonçant les prétendues lourdeurs administratives d’un Etat qualifié de jacobin pour promouvoir un fédéralisme européen très perméable aux logiques libérales et aux mesures d’austérité antipopulaire.
La réforme doit se justifier car effectivement l’efficacité sociale des précédentes n’est toujours pas démontrée. Néanmoins, notre insistance a permis d’arracher le principe d’une consultation populaire pour toute réforme institutionnelle de portée constitutionnelle. Les autres groupes avaient voté contre notre amendement dans le cadre des Assises du Foncier et du logement. Désormais tous nous rejoignent. C’est positif mais cela ne diminue en rien la nécessité d’éclairer la démarche et de s’y tenir sans renvoyer ce qui peut être fait dans le cadre réglementaire actuel au prétexte d’une future révision constitutionnelle. Ce que nous recherchons en priorité, c’est la maitrise du foncier, la construction de logements sociaux, la préservation du potentiel agricole et une action résolue contre la spéculation et les dérives affairistes et mafieuses qui en découlent.
Nous mettons cette orientation au cœur du PADDUC dans sa deuxième étape. Les travaux de la Commission des compétences législatives et réglementaire vont y ressurgir et faire ressortir les contradictions avec les projets de citoyenneté corse ou de statut fiscal auxquels nous nous opposons. Peut-on valablement considérer, dans le cadre actuel, qu’un Corse puisse bénéficier de droits qui ne seraient pas reconnus à un continental voulant vivre en Corse et dans le cas contraire qu’un Corse s’installant sur le continent puisse se soigner, se loger, travailler, jouir de la protection sociale sans aucune objection ? Nous pensons que non, sauf à entrer dans un processus identique à celui de la Nouvelle Calédonie où le citoyen calédonien n’est pas le résident français l’un et l’autre sont juridiquement dissociés.
En effet, appliquée dans les domaines du droit du travail, de l’accès aux soins, de la protection sociale incluant la retraite, les prestations familiales, les minimas sociaux, on mesure l’implication et les retombées d’une telle mesure car la citoyenneté n’est ni une affaire de générosité, ni de culture ou d’ouverture d’esprit supposée, elle est une question de droits reconnus à chaque citoyen à partir desquels se fonde un destin commun.
Concernant la fiscalité locale la structure du budget de la CTC invite à la plus grande prudence surtout que la confusion est entretenue entre statut fiscal, autonomie fiscale et transfert partiel de fiscalité comme c’est le cas avec la TIPP. Pour déterminer le niveau le mieux adapté il faut indiquer si l’évolution souhaitée repose sur la péréquation nationale ou non, si des taxes nouvelles seront appliquées avec un effet sur les ménages insulaires dont on sait que le potentiel fiscal est le plus bas de France. Ce qui est en cause en Corse plus qu’ailleurs c’est la justice fiscale reliée à la justice sociale. Un régime d’imposition ne peut être accepté que s’il est considéré comme juste : horizontalement (quelque soit la source du revenu, à revenu égal impôt égal) et verticalement (plus on est riche plus on doit proportionnellement payer d’impôt, ce que l’on appelle la progressivité). Voila pourquoi, il était impossible pour nous de faire défiler aux côtés des détenteurs de gros patrimoines, exonérés des droits de successions, ceux qui n’ont rien. Ce faisant nous avons été cohérents au regard des amendements que nous avons introduits aux délibérations de l’Assemblée de Corse tendant à demander la maintien de l’arrêté Miot, le transfert de cette fiscalité à la CTC pour mettre en œuvre une politique ambitieuse du logement social en imposant les grosses successions.
Le recouvrement imparfait de la Taxe de transport comme le détournement des réfactions de TVA et la zone franche renforcent les inquiétudes car dans tous les cas une petite minorité s’enrichit considérablement alors que les supposés bénéficiaires, la collectivité, les consommateurs et les travailleurs en sont privés. En témoignent, l’inspection générale des finances que nous avons réclamée dès 2008, la cherté de la vie qui empoisonne le quotidien des ménages insulaires, les salaires qui n’ont pas suivi la progression des chiffres d’affaires des entreprises aidées par des allègements fiscaux.
Par contre nous avions pensé que les engagements de Francois Hollande sur l’adoption de la Charte des langues minorées et l’acte III de la décentralisation offraient la possibilité d’inscrire les mesures que nous défendons pour le bilinguisme et le transfert de la fiscalité sur les patrimoines dans la révision constitutionnelle qu’il projetait. Cependant, la position du président de la République sur le contenu de la convocation du Congrès en juillet contrarie quelque peu ces réflexions. Toutefois, on retiendra que son «pacte de confiance» entre l'Etat et les collectivités peine à se concrétiser. L’originalité de l’organisation française des collectivités est attaquée pour concentrer et réduire l’exercice des compétences remettant en cause le rôle et le principe de libre administration de chaque niveau de collectivités. La logique sarkoziste de regroupements forcés des collectivités en grandes intercommunalités et en grandes métropoles spécifiques pour Paris, Lyon, Marseille, Strasbourg et Lille est maintenue. Il y a danger aussi sur les dotations d'Etat et l'autonomie des collectivités. Des prélèvements et des charges plus importantes se profilent avec une péréquation limitée, l'encadrement et le contrôle des dépenses publiques et la MAP (modernisation de l'Action Publique) en substitution à la RGPP.
Le renforcement du rôle des régions se ferait au détriment des communes vidées de leur substance. Il s’agit de mesures d’accompagnement de l’austérité dictées par les critères européens de maitrise budgétaire et pour ce faire visant la clause de compétence générale et le prétendu mille feuilles administratif. En fait, c’est un désengagement de l'Etat qui se prépare, accentuant les inégalités territoriales et poussant à la concurrence des territoires, du point de vue de l'emploi, des transports, de la santé, de l’activité agricole et industrielle, ou de l’éducation, de la formation et de la recherche. Sur ce point il y a un lien évident avec la réforme Peillon et l’affaiblissement voulu du rôle de l'Etat dans l'Education nationale tendant sur ce plan à aggraver les choses. Tout en dénonçant les dangers de ces réformes de l’école et des institutions, nous proposons un renouveau démocratique, dans une république éthique, unie et solidaire.
Nous l’avons rappelé avant l’adoption de la troisième convention du PEI dont on se félicite puisque nous en avions défendu le principe mais en relevant que cet engagement de la gauche plurielle en faveur du développement à certes permis de soutenir un rythme de croissance élevé sans pour autant favoriser un juste partage de la richesse créée. Nous retenons dans ces conditions, que les principales entreprises du BTP en Corse, très présentes sur les opérations programmées au PEI même si certaines impliquées des entreprises extérieures, n’ont pas contribué à la dynamique sociale attendue avec un tel niveau d’investissements publics. Les inégalités se sont creusées entre les ménages aux revenus les plus forts et les ménages les plus modestes. Le chômage a certes été contenu par la création d’emplois nécessaires à l’exécution du PEI mais désormais ces résultats sont balayés par une aggravation sans précédent du nombre de demandeurs d’emplois. Afin d’asseoir le progrès social et culturel de la Corse le PEI, ne peut être cantonné à la seule stratégie de développement économique soutenue par la mise à niveau des infrastructures et des équipements collectifs. C’est ce deuxième aspect du progrès social et culturel qu’il faut mettre au cœur de cette troisième convention.
Par certains de ses choix l’Exécutif a anticipé sur cette obligation découlant de l’urgence sociale notamment dans le domaine du logement social, de la maitrise du foncier avec la création de l’EPF et de l’AUE, c’est également vrai s’agissant de l’énergie, de l’économie sociale et solidaire, du réseau ferré et de la gratuité pour les étudiants empruntant le train… C’est moins vrai dans les domaines de la culture et du sport on est en attente des Assises qui donneraient une plus grande lisibilité de sa stratégie. En revanche, il s’en est éloigné complètement dans la définition de la desserte publique maritime. Partant de ce constat il faut définir pour qui et pourquoi une évolution institutionnelle s’impose après un examen poussé des conditions sociales, économiques et politiques pour améliorer sensiblement les conditions matérielles de ceux qui souffrent le plus à savoir un cinquième de la population insulaire 60 000 personnes selon les données officielles. La réforme institutionnelle, dans cette approche, ne peut pas être le préalable mais la conclusion d’un processus transparent et démocratique fondé sur cet objectif prioritaire qui correspond à l’étude d’opinion réalisée pour éclairer l’élaboration d’un PADDUC conforme aux attentes de notre peuple.