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Michel Stefani

SNCM : Les raisons d'un conflit

10 Mars 2011

Les élus nationalistes de Corsica Libera ont tenu une conférence de presse. A cette occasion ils s’en sont pris aux salariés de la Sncm en grève comme aux élus communistes qui leur ont exprimé leur solidarité. Etre solidaires des travailleurs en lutte c’est pour les élus de Corsica Libéra se rendre coupables d’agir pour un prétendu lobbies « politico syndical » extérieur à la Corse ou comme cela a été écrit sur les murs de Bastia d’être liés à Véolia ce qui pour le moins est contradictoire et souligne le caractère fantaisiste du propos. La confusion règne d’autant plus dans leur esprit qu’ils oublient les véritables modalités de la privatisation de la Sncm intervenue, dans des conditions scandaleuses, sous le gouvernement Villepin Sarkozy, comme ils oublient souvent de le dire.

Pour les élus de Corsica Libéra, les salariés de la Sncm, leurs organisations syndicales, auraient eu tort de faire valider par une consultation démocratique le plan industriel proposé par les actionnaires Buttler et Veolia proches du pouvoir et imposés par le gouvernement. Selon ce raisonnement les salariés auraient dû s’en tenir à une position suicidaire qui en définitive leur aurait fait perdre leurs emplois.

Les élus de Corsica Libera, enfin, préconisent la compagnie régionale avec six cargos mixtes ce qui revient à avaliser le retrait des deux ferries affectés au service complémentaire pour transporter les 450 000 passagers au départ de Marseille. Cela ne déplaira pas à Corsica Ferries qui pourra, dans ce cas, continuer à écrémer le fret après avoir récupéré l’essentiel de ce service. Force est de constater que la configuration de flotte définie à 6 navires pour la compagnie régionale proposée se rapproche de celle défendue par Monsieur Dufour et Monsieur Frerot PDG de Véolia. Les deux schémas impliquent un nouveau plan de restructuration de plusieurs centaines de suppressions de postes.

Le retrait du Liamone sur Nice n’est à ce jour que la face visible de la nouvelle étape en préparation. La stratégie mise en œuvre depuis 2002, contre laquelle les élus nationalistes ne disent mot, est ainsi à l’origine des difficultés dont ce conflit n’est que le révélateur. En dix ans au prétexte d’adapter la seule Sncm à cette règle libérale de la concurrence 750 postes ont été supprimés. Le « mammouth » a donc été « dégraissé » pour faire la place « au nouvel entrant ».

Les principes de la continuité territoriale mis en place en 1976 pour satisfaire la légitime revendication des Corses à disposer d’un service public après la faillite des opérateurs privés de l’époque n’est pour rien dans ce qui se passe aujourd’hui contrairement à ce qui a été dit lors de cette conférence de presse. En revanche par leurs propos les élus de Corsica Libera s’en prennent à la solidarité nationale indispensable déjà mise à mal par la politique libérale de désengagement de l’Etat.

Les faits sont là, en six ans, de 2002 à 2008, l’OTC est passé d’une situation financière excédentaire de 42 M€ à un déficit structurel de 20 M€ alors que 110 M€ ont été versés au titre de l’aide sociale. En même temps le déséquilibre financier de la DSP, soumise ainsi à l’écrémage, ne pouvait que s’aggraver au détriment des délégataires, la CMN et la SNCM, seuls opérateurs sur la Corse sous pavillon national premier registre.

Cette gabegie de 172 M€ dont les salariés, qu’ils soient résidents d’un côté ou de l’autre de la méditerranée, sont aucunement responsables montre si besoin est que le service public, mis en œuvre selon les principes de la continuité territoriale à sa création, peut se faire dans une meilleure approche de la desserte et une baisse des tarifs. La fameuse logique, induite à la demande des tenants de l’économie touristique, qui consiste à déverser des flots de touristes en Corse par une offre démesurée suscitant une demande accrue jamais vérifiée, a engendré une situation ubuesque ou 9 millions de places sont offertes à 3 millions de passagers.

Les élus de Corsica Libéra font l’impasse sur cet aspect du problème comme le MEDEF local, les CCI et les députés UMP. Evoquer la distorsion de concurrence ne suffit pas. Il faut dire pourquoi elle existe et qui en est responsable. Pour ce qui est des élus communistes c’est une constante nous avons toujours voté contre le dispositif d’ouverture à la concurrence sur le port de Toulon et de Nice, et dénoncé la mise en place du système de subventions versées au titre de l’aide sociale de façon non réglementaire.

A l’inverse, le 24 mars 2006 les élus nationalistes s’étaient abstenus sur les principes d’organisation de la desserte maritime comme ils se prononceront pour la venue des low cost en 2008. Précédemment en 1999, leur représentant à la commission d’appel d’offres avait voté pour l’attribution de la desserte aérienne de bord à bord à Air Littoral en lieu et place de la CCM ce qui en fait la condamner à disparaître. Cela devrait les inciter à plus de mesure lorsqu’ils évoquent ma candidature à la présidence de la CCM.

Dix ans plus tard nos propos sont confirmés par le rapport de la mission sénatoriale Revêt et celui de la Chambre régionale des comptes sur la continuité territoriale. La déconfiture de ce système d’ouverture à la concurrence, dont les promoteurs expliquaient qu’il devait favoriser une meilleure desserte et une baisse des tarifs, confirme la pertinence des choix alternatifs que nous défendions en 2002, seuls, à travers nos amendements dont quatre portaient expressément sur l’extension de la DSP à Toulon et le refus de l’aide sociale dont nous avions démontré les effets pervers.

Cette perversité est d’autant plus dommageable dans le contexte économique actuel où le gel de la dotation imposé par le gouvernement Fillon Sarkozy entraîne une perte de recettes de 7 M€ en deux ans pour l’OTC confronté également à la hausse du prix des combustibles et la perspective d’une aggravation du déficit de plus de 8 M€ en 2011 avec un baril à 100 dollars.

Ainsi la question fondamentale posée, non pas d’ici dix ans, mais dans l’immédiat c’est la redéfinition par la CTC dont c’est la compétence de la desserte de service public en matière de services à prester et de tarifs à propos desquels les usagers se plaignent à juste titre. Pour ce qui nous concerne cela passe par l’extension de la DSP à Toulon et la fin de la subvention contestable d’aide sociale, par l’obligation de cabotage conventionnée et sous pavillon premier registre français imposée à tout opérateur prétendant à opérer sur la desserte de la Corse. Cela passe enfin par le maintien de l’engagement financier de l’Etat dans le cadre de la solidarité nationale à un niveau permettant de garantir une véritable desserte de service public sur la Corse. Cela suppose une augmentation de la dotation et sa ré-indexation sur l’évolution du PIB.

Dans l’immédiat au regard de ces éléments qui confirment la légitimité des inquiétudes exprimées par les personnels en grève à la Sncm, l’Etat ne peut se contenter de laisser le conflit dans l’enlisement. Il est doublement concerné en tant qu’actionnaire de la compagnie et comme garant des principes de continuité territoriale. Il lui appartient comme les présidents Bucchini Giacobbi et Vauzelle l’ont demandé de convoquer une table ronde sous l’égide du Secrétaire d’Etat aux transports plutôt que d’envoyer les CRS contre les travailleurs en grève pour la défense de leurs emplois et du service public de continuité territoriale.

Michel STEFANI

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