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Michel Stefani

La faillite de la concurrence

30 Novembre 2010

Le débat que nous avons eu ce matin autour du rapport de la CRC a montré que les conditions de la mise en œuvre de la continuité territoriale se sont considérablement dégradées sous la précédente mandature en raison de choix politiques dont nous ne pouvons assumer collectivement la responsabilité étant donné que certains les ont soutenus et d’autres combattus, notamment notre groupe.

La nouvelle Assemblée se trouve donc confrontée à une double obligation : rétablir à long terme l’équilibre financier de l’OTC ; garantir la desserte de service public dans l’intérêt des usagers, des salariés et par la même dans l’intérêt général.

Le fait-elle dans la précipitation ? Ce débat et les auditions réalisées par la commission du développement témoignent du contraire.Cependant, l’urgence dans laquelle nous nous trouvons commande de prendre des décisions sans tarder afin de réorienter la politique de l’OTC.

Le faux débat sur le prétendu retour au monopole ne peut masquer le constat. Il a fallu moins de huit ans pour passer d'un excédent de 40 M€ à un déficit de 20 M€ alors que 145 M€ ont été versés hors DSP au titre de l’aide sociale. Ainsi rien ne permet d’affirmer que la concession de 25 ans relevait d’une politique coloniale alors qu’elle était la réponse positive à la mobilisation populaire des corses excédés par les défaillances des opérateurs privés.

Autrement dit entre la concession de 25 ans et l'ouverture aux compagnies à bas coûts, les fameuses lowcosts, la plus couteuse pour la collectivité et la plus calamiteuse pour le service public et l’emploi est la deuxième. Laisser les choses en l'état conduirait en effet à la faillite et à puiser dans le budget de la CTC.

Par conséquent il faut revenir aux principes fondamentaux qui ont prévalu à la création du dispositif de continuité territoriale en 1976.Ce retour est nécessaire pour établir un service public satisfaisant en termes de fréquences, de capacités, de régularité et de tarifs aptes réduire le handicap d’insularité qu'il s'agisse du transport de fret comme depassagers.

Nulle part ailleurs vous trouverez une collectivité locale qui subventionne sur une desserte de service public le délégataire qu'elle a choisi et son concurrent. Par conséquent il faut une délégation de service public (DSP) des obligations de service public (OSP) contractuelles sur les ports de Marseille et de Toulon pour desservir correctement et toute l'année les ports corses.

Cela permettra de mieux prendre en compte les personnes en difficulté pour lesquelles le coût du transport est un obstacle. C'est l'objet de l'aide sociale quand il n’est pas perverti. Subventionner le transport de passagers globalement sur plusieurs lignes, relève de la délégation de service public.

C'est ce qui fait, indépendamment de l'impossibilité de le maîtriser et de le contrôler, que le dispositif sur Toulon n'est pas conforme à la réglementation. La validation du dispositif par l’Europe, qui n’a pas annulé cette réglementation, s’appuie logiquement sur un principe de subsidiarité laissant à l’Etat et la CTC le soin de respecter la réglementation autrement dit de l’appliquer.

Le patron de Corsica Ferries France nous accuse, quand nous affirmons cela, de vouloir liquider son entreprise. Pour le coup la mémoire lui fait défaut d’une part parce que la réglementation en question est très libérale,donc favorable à ses options économiques et d’autre part parce qu’il expliquait en 2001 qu’il n’avait pas besoin de subvention.

Aujourd’hui après avoir perçu 120 M€ il préconise la vente des car-ferries de la SNCM à laquelle il reprocheune incapacité chronique à s’adapter aux règles, en deux mots à la « concurrence sauvage », pour reprendre ceux employés par le PDG de la CMN devant la Commission du développement.

Ces propos n’avaient rien d’excessif. Simplement, ils indiquaient que cette compagnie, exposée à une baisse des recettes au moment où elle s’est endettée avec l’achat d’un navire neuf d’un montant de 140 M€, pourrait se retrouver dans une position délicate dès l’an prochain.

Cela m’amène naturellement à rappeler qu’en termes d’adaptation la SNCM a connu à ce jour deux plans sociaux l’un en 2003 après l’ouverture à la concurrence sur Toulon, un second après la privatisation scandaleuse, à propos de laquelle il serait légitime de demander une commission d’enquête parlementaire,privatisation réalisée en 2005 par le gouvernement Villepin Sarkozy avec à la sortie 450 postes supprimés.

Il est également nécessaire de comprendre, non pas que les « Marseillais » comme le dit avec mépris le directeur de la CFF, mais tous les salariés de la SNCM ont des raisons d’être inquiets quand on leur promet une troisième étape dans une fourchette de 300 à 600 suppression d’emplois selon les scénarios.

J’en conclue que l’activité internationale de CFF ne suffit plus malgré les avantages que procure le pavillon italien second registre propice au dumping social et commercial comme aux placements dans les paradis fiscaux. La vérité commande de dire ici que le directeur de CFF devant la Commission du développement a indiqué que la localisation de la holding LOZALI découlée de la seule volonté d’une « famille corse qui a fait le choix de s’installer à Genève ».

Toutefois, le combat « anti monopole public »,que son patron mène pour sa part depuis 15 ans, oppose souvent les travailleurs d’un même secteur et d’entreprises différentes au nom de la concurrence et beaucoup plus pour le profit sans que le patronat n’en assume jamais les conséquences sociales, c’est bien connu.

C’est donc aux pouvoirs publics d’imposer les règles, de garantir l’emploi et les droits des salariés quel que soit leur employeur, de préserver le service public dans l’intérêt général. C’est pour nous un principe intangible qui fait que nous nous opposerons aux licenciements à la SNCM et à la CMN comme à la CFF.

Nous pensons également que les conditions qui doivent prévaloir pour chaque candidat à la DSP doivent reposer sur un règlement d’appel d’offres imposant la transparence des sociétés candidates, la production de comptes consolidés, l’obligation de cabotage sous pavillon français premier registre, une durée minimale de 12 ans pour permettre l’amortissement et le renouvellement des navires.

Sinon comme nous l’avons jusqu’ici c’est la directive Bolkestein qui s’applique avec tous les dangers inhérents à cette course à la réduction des coûts de main d’œuvre, puis de sécurité et ou de protection environnementale.

J’attire votre attention sur le fait que la réglementation européenne (35 77 92) en matière de cabotage a exclu le pavillon italien second registre du droit à prester le service et que la directive services 2006 est venue confirmer la notion de pays d’accueil en lieu et place de la notion du pays d’origine.

De sorte qu’en matière de respect des règles sociales et fiscales les principes qui doivent s’appliquer pour la desserte de la Corse sont celles définies par le code du travail français, les conventions collectives et la francisation des navires pour les obligations fiscales.

C’est pour cette raison, entre autres, que la SNCM produit des comptabilités analytiques séparées pour la DSP et le service du Maghreb.

Cette mise au point est d’autant plus nécessaire que la croisade engagée par la direction de CFF conduit à ce que sur son site commercial une pétition,adressée également à l’aide du listing passagers, contestele droit à la CTC de redéfinir sa politique.

Cette façon de procéder n’est pas surprenante elle est conforme au harcèlement judiciaire contre la CTC, dont l’acte emblématique reste l’enveloppe vide déposée lors du premier appel d’offres en 2002 afin d’engager une référé précontractuel dans la foulée.

Depuis la logique concurrentielle a été poussée à fond en laissant croire qu’il est possible de voyager sinon gratuitement, à tout le moins avec des tarifs qui ne reposent sur aucun fondement économique rationnel sinon ceux du dumping commercial.

Cette situation ne peut perdurer.Aucun système économique en effet ne peut survivre dans de telles conditions où le coût de service est facturé en moyenne à un prix inférieurà son coût de production.

La guerre commerciale doit cesser comme le débat que nous avons eu en novembre 2009 le laisser envisager quand chacun s’accordait à reconnaître que la clause d’adaptation ne suffirait pas à rétablir les équilibresfinanciers et à pérenniser la continuité territoriale dans son ensemble.

Au-delà des élu(e)s que nous sommes, garants du bon usage de l’argent public, l’usager qui est également contribuable peut à ce titre s’interroger sur la pertinence, non pas de « la double peine » mais du double financement de la DSP et de l’aide sociale.

Le trafic s’est donc développé considérablement au départ de Toulon au détriment de celui de Marseille, sur les services passagers dans un premier temps, puis sur le fret avec des ferries dont ce n’est pas la vocation initiale.

L’écrémage du fret a pris de l’ampleur avec un transfert de 20 % au détriment des délégataires. Or, la desserte par cargos de l’ensemble des ports insulaires avec sur Marseille Bastia et Marseille Ajaccio deux navires dans les deux sens chaque jour, un navire sur Propiano et Porto Vecchio trois fois par semaines, a forcément un coût plus élevé.

De fait le mètre linéaire sur la DSP peut atteindre les 93 € alors que les compagnies, en trafiquant sur l’unique ligne de Toulon Bastia, voire deux avec Toulon Ajaccio, peuvent se contenter, ce qui proportionnellement est prohibitif, d’un tarif à 40 €.

On peut raisonnablement considérer que sans cet écrémage de la DSP les 111 M€, versés en six ans au titre de l’aide sociale aux compagnies maritimes, les 40 M€ d’excédents, à l’amélioration de la desserte et à la baisse des tarifs comme nous le demandions.

De plus il serait instructif d’établir un bilan carbone sachant l’importance des moyens nautiques mobilisés, leur vétusté pour certains, pour finalement, tous opérateurs confondus, aboutir à une occupation des capacités offertesde 30 % en passagers et 50 % en fret.

Cette sur dimension des capacités, un passager transporté pour trois places offertes, induites par la concurrence débridée et son double financementpar la CTC, ne doit pas paradoxalement conduire à ignorer la spécificité de la desserte.

Ainsi, pour une meilleure maîtrise, les pics de trafic, la forte saisonnalité,le remplissage inversement proportionnels selon le sens de traversée, doivent être réétudiés dans le cadre du service public parce qu’ils contribuent à augmenter les recettes des délégataires et à diminuer les compensations versées par l’OTC sans toucher à la qualité des prestations.

La CTC n’est effectivement pas la seule collectivité régionale confrontée à ce type de phénomène. A titre d’exemple, les coefficients de remplissage des trains régionaux sont en moyenne de 30 % sur le continent. Pour autantles régions recherchentune amélioration du service public, non le contraire avec l’ouverture à la concurrence.

Car la question essentielle est bien celle-là. C’est pourquoi nous n’évacuerons aucun aspect du débat. Le président du Conseil général de Corse du Sud nous invitait récemment à le faire sérieusement.

Il avait raison sauf qu’on ne peut se contenter d’accabler les travailleurs du port de Marseille sans interpeller leurs employeurs pour renégocier, pourquoi pas, des aménagements spécifiques à la continuité territoriale.

Cette réflexion est également valable face à un autre argument,apparemment de bon sens, qui consiste à dire « après tout il n’y a qu’à transférer tout le fret sur Toulon »alors que cela est impossible au moins pour deux raisons la ville serait engorgée très souvent, l’infrastructure de parking des remorques et les postes à quai seraient rapidement à saturation pour une bonne exécution du service.

J’ajoute que ce choix serait critiquable au moment du Grenelle de l’environnement car les salariés du port de Marseille et les cheminots ont arraché le maintien en activité de la gare de Miramas pour le développement du ferroutage.

Alors il est vrai que sur Toulon CFF et Moby France ont réduit le nombre d’embauches de dockers à un chiffre si modeste qu’on peut se demander comment s’opère le saisissage sur leurs navires et à ce compte s’interroger sur l’avenir même de la profession en Corse sans parler de la sécurité.

Monsieur le président vous avez récemment donné votre accord pour une étude de faisabilité d’une compagnie régionale. Pour nous, l’enjeu stratégique se situe à l’inverse dans une démarche garantissant la présence de l’Etat plutôt que son désengagement.

En ce sens je vous propose d’étendre le champ de l’étude à cet objectif parce que la SNCM compagnie nationale au service de la Corse c’est déjà 750 emplois, les carnets de commandes remplis pour 150 entreprises, le financement de l’école d’apprentissage maritime et dans l’ensemble 35 M€ de retombées économiques.

Dans le même esprit, il me semble nécessaire de préciser à propos des groupements économiques de coopérations transfrontalières (GECT) prévus par l’UE qu’ils doivent être voulus par les régions concernées et surtout financés par elles.

Car en définitive l’enjeu stratégique dont il est question relève bien d’une responsabilité qui découle du principe républicain de traitement équitable des citoyens sur l’ensemble du territoire national comme de la solidarité nationale dont dépend la dotation de continuité territoriale pour laquelle il faut exiger la ré-indexation.

Le constat que nous faisons aujourd’hui, huit ans à peine, après l’ouverture à la concurrence nous conforte dans nos analysesd’alors : les règles du marché capitalistes sont destructives en général, la crise mondiale tant à le démontrer, appliquées à la desserte aérienne et maritime de la Corse, elles ne pouvaient conduire à l’eldorado économique et social que d’aucuns promettaient.

C’est pourquoi en conclusion je voudrais insister sur la nécessité d’affirmer une volonté politique claire pour obtenir de l’Etat et de l’Union Européenne la sécurité juridique nécessaire à une réelle et durable prise en compte de la spécificité de la desserte de continuité territoriale entre le continent et la Corse.

Michel Stefani

Chambre régionale des Comptes (CRC)

Office des transports de la Corse (OTC)

Collectivité territoriale de Corse (CTC)

Obligations de service public (OSP)

Délagation de service public  (DSP)

Société Nationale Corse Méditerranée (SNCM)

Compagnie Méridionale de Navigation (CMN)

Corsica Ferries France (CFF)

 

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