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Michel Stefani

Continuité territoriale le rapport de la CRC

30 Novembre 2010

Sans surprise le rapport de la CRC nous alerte sur la situation financière préoccupante de l’OTC. Les magistrats nous livrent une analyse comptable précise et une réflexion dense sur l’exécution des conventions de service public aériennes et maritimes sur une période exhaustive de 10 ans incluant l’examen des exercices annuels de 2002 à 2008 et un rappel utile sur l’exécution de la concession de 1976.

L’intérêt de ce rapport, au début de cette courte mandature, alors que la majorité régionale a changé en mars dernier, c’est précisément de porter à la connaissance de la nouvelle Assemblée de Corse, comme des citoyens, les éléments indispensables de compréhension et d’évaluation de la politique des transports mise en œuvre dans le cadre de la continuité territoriale.

L’objectif de ce contrôle n’est pas,par conséquent, de définir, la politique de la CTC à la place des élus mais d’informer, au sens ou le législateur l’a voulu au moment d’engager la décentralisation, de la gestion publique et du respect del’équilibre budgétaire des collectivités.

Ce rappel est d’autant plus nécessaire qu’au nom de la RGPP le gouvernement projette de réduire les missions de la Chambre et de porter atteinte à ces principes de décentralisation également visés par la contre-réforme des collectivités locales.Pour la collectivité la plus décentralisée de France métropolitaine cela n’est pas sans intérêt tant la Corse a un besoin vital de transparence et de démocratie.

Par la force des choses, s’agissant d’une île, elle a également besoin d’une desserte maritime et aérienne performante. Pour ce faire la CTC dispose de la compétence nécessaire et de moyens financiers non négligeables avec l’enveloppe de continuité territoriale. La CRC s’est donc attachée à en vérifier la bonne utilisation.

Ainsi, dès les premières pages du rapport les magistrats de la Chambre plantent le décor, selon eux « L’OTC n’a su maîtriser ni la progression des montants versés aux opérateurs de transport ni ses propres dépenses de fonctionnement et se trouve dans une situation financière délicate ».

Pour ce qui nous concerne, en 2002, nous avionsvoté contre le dispositif d’aide sociale en annonçant notamment que l’OTC serait rapidement dépassée par sa logique empirique et incontrôlable et qu’il conduirait comme l’indique la Chambre « à déstabiliser le marché ».

Partant de là, la CRC met en évidence les trois facteurs qui en sont à l’origine de la « dégradation continue » de la situation financière de l’OTC à savoir : l’insuffisance des contrôles réalisés sur les dispositifs en place, la progression des dépenses de fonctionnement de l’office,les carences de la tutelle de la CTC.

Dans ces conditions, l’OTC a vu le montant de ses dépenses passé de 161 M€ en 2002 à 187 M€ en 2008, après avoir culminé à 198 M€ en 2007. La décomposition des sommes consacrées au deux modes de transport aérien et maritime montre que la part de ce dernier reste nettement majoritaire même si la progression du secteur aérien est sept fois plus importante.

En outre la Chambre relève que « ces évolutions différenciées des masses financières consacrées à l’aérien et au maritime apparaissent au final davantage subies que maîtrisées faute de réelle évaluation des dispositifs en place » notamment d’aide sociale dont la progression continue ne sera interrompue qu’en 2009 par la clause d’adaptation qui se traduira, parallèlement, par une diminution sévère du périmètre de la DSP.

La même année d’ailleurs le gel de la DCT produira un manque à gagner de 3,7 M€ qui sera en 2010 de 4,9 M€.Cette politique d’austérité budgétaire conduite par le gouvernement contribue à la dégradation des comptes de l’OTC alors que ses dépenses « entre 2002 et 2008, du fait de la conjonction des évolutions constatées, ont été supérieures aux recettes à hauteur de 19,4 M€ » constituant ainsi le « déficit structurel cumulé ».

Dans le même temps la CTC utilise l’enveloppe pour faire face à ses propres difficultés d’endettement et accentue les tensions de trésorerie de l’OTC en ne transférant la DCT que de manière progressive à partir du second semestre de l’exercice en cours.

Elle profitera également de la déspécialisation de l’enveloppe pour prélever 10 M€ qui serviront à réaliser des infrastructures portuaires et aéroportuaires comme la loi de janvier 2002 l’y autorisait mais ne l’obligeait pas.Enfin, la clause combustible,qui engageait l’OTC vis-à-vis de ses délégataires, s’est élevée en 2007 à plus de 7 M€.

Pour autant ces choix ou engagements contractuels n’expliquent pas à eux seuls pourquoi les réserves de l’Office seront épuisées à la fin de l’exercice 2010, « alors que celles-ci dépassaient 40 M€ en 2001, niveau auquel elles se sont maintenues jusqu’en 2007 ».

La Chambre insistedonc sur les carences du contrôle parce que « le recueil, la production et l’exploitation d’informations financières et opérationnelles est un préalable indispensable pour que l’OTC soit en mesure, comme c’est son rôle, de piloter la mise en œuvre du dispositif de continuité territoriale et d’anticiper davantage qu’il ne l’a fait les difficultés afin de faire évoluer les conventions de manière progressive et concertée et non de manière brutale et sous la contrainte, comme cela s’est produit en 2009 ».

Dans ces conditions les compétences dévolues à la CTC et les moyens de la solidarité nationale mis à sa disposition n’empêchent pas que l’OTC se retrouve en situation de faiblesse face à des opérateurs opposés par une logique concurrentielle de plus en plus agressive. La surcapacité de l’offre en est un autre aspect lui-même n’étant que l’aboutissement de la coexistence des deux systèmes en contradiction la DSP et l’aide sociale.

Les recours divers et variés souvent assis sur des procédures dilatoires en attestent également, avec des débours induits pour l’OTC et la remise en cause permanente des choix de la CTC. Le cas le plus emblématique, la Chambre y fait référence, est celui de l’enveloppe vide déposée en 2002 par CFF avec le seul objectif du référé précontractuel.De même, les expertises de cabinets ne semblent pas avoir été d’une grande efficacité. Certaines ont donc impactéinutilement ses dépenses de fonctionnement courant.

Force est de reconnaître à ce stade que les objectifs annoncés s’agissant de la baisse des tarifs et de l’amélioration de la dessertemaritime n’ont été atteints que partiellement au regard des moyens financiers mobilisés. Les publicités tapageuses sont d’ailleurs révélatrices du caractère ubuesque de la situation laissant croire qu’il est possible de voyager gratuitement.

L’usager qui est également contribuable peut à ce titre s’interroger sur la pertinence, fait unique en France pour une collectivité territoriale, d’organiser une DSP qui implique des compensations financières pour des OSP contractuelles et d’autre part de subventionner un service concurrent pour des OSP non contraignantes.

La Chambre montre d’ailleurs comment le dumping commercial à pu se développer en privant les compagnies délégataires du service public des recettes indispensables à l’équilibre de leurs comptes. Ainsi le trafic s’est développé considérablement au départ de Toulon au détriment de celui de Marseille, sur les services passagers dans un premier temps, puis sur le fret avec des ferries dont ce n’est pas la vocation initiale.

C’est de cette façon que l’écrémage du fret a pris de l’ampleur avec un transfert de 20 % au détriment des délégataires. La CFF au début et maintenant la MobyFrance cassent les prix avec pour cette dernière une particularité puisque son patron, administrateur de l’OTC au titre du syndicat des transporteurs, se vante de pratiquer un prix du mètre linéaire moitié moins élevé que sur le service public.

Le patron de la Moby France n’ignore pas, puisqu’il en est, que les transporteurs ont longtemps revendiqué la desserte par cargos de l’ensemble des ports insulaires avec sur Marseille Bastia et Marseille Ajaccio deux navires dans les deux sens chaque jour.

De fait le mètre linéaire sur la DSP peut atteindre les 93 €alors que sa compagnie, en trafiquant sur l’unique ligne de Toulon Bastia, peut se contenter, ce qui proportionnellement est prohibitif, de 40 €.

On peut raisonnablement considérer que sans cette ouverture à la concurrence, reposant,je viens de le montrer, sur l’écrémage de la DSP, l’OTC aurait pu préserver ses marges de manœuvres de financières et consacrer les 111 M€, versés en six ans au titre de l’aide sociale aux compagnies maritimes, les 40 M€ d’excédents, à l’amélioration de la desserte comme à la baisse des tarifs.

A l’heure du Grenelle de l’environnement il serait également instructif d’établir un bilan carbone sachant l’importance des moyens nautiques mobilisés, tous opérateurs confondus, pour une occupation des capacités offertes en moyenne d’environ 30 % en passagers et 50 % en fret.

Cette sur dimension des capacités, induites par la concurrence, que nous dénonçons ne doit pas conduire àignorer la spécificité de la desserte notammentles coefficients de remplissage inversement proportionnels selon le sens de traversée.

Au contraire, pour une meilleure maîtrise, les pics de trafic, la forte saisonnalité, doivent être pris en compte dans le cadre du service public parce qu’ils contribuent précisément à augmenter les recettes des délégataires et diminuer les compensations versées par l’OTC en préservant la qualité des prestations.

S’agissant du cadre légal et réglementaire du dispositif d’aide sociale la Chambre, indique comme dans le rapport consacré à la CCM, que celui-ci est encadré de telle sorte qu’il ne puisse pas devenir l’instrument d’une « distorsion de la concurrence ».

Pour ce faire la vérification de la validité des titres de transport émis est une exigence pour s’assurer que l’aide individuelle destinée au passager ne se transforme en une subvention à la compagnie comme c’est le cas aujourd’hui.

Alors on peut s’interroger, sur la validation du dispositif par l’Europe qui n’a pas annulé la réglementation mais qui s’appuie logiquement sur un principe de subsidiarité laissant à l’Etat et la CTC le soin de respecter la réglementation autrement dit de l’appliquer.

Avec les déboires survenus entre 1999 et 2004, l’expérience dans l’aérien était suffisamment édifiante pour convaincre, que la desserte de la Corse ne pouvait sans dommage être ouverte constamment à de nouveaux opérateurs, adeptes du dumping social, et intéressés par les lignes les plus profitables.

La Chambre revient ainsi sur l’épisode calamiteux de l’appel d’offres de 1999 et la décision de la Commission d’appel d’offres unanime, je précise que notre groupe en avait été écarté, qui confia à Air littoral la desserte de bord à bord.

Pour sortir de ce piège l’Assemblée de Corse sera obligée d’arrêter la procédure d’appel d’offres et de substituer à la délégation de service public le« système d’aide sociale qui permettait alors de sauver la CCM, avec l’accord de son président de l’époque et des représentations syndicales ».

Cette démonstration souligne les dangers d’une politique qui ne vient pas du néant et le cynisme d’une réglementation qui consiste à faire croire qu’une collectivité peut s’affranchir de contraintes sociales évidentes au nom du marché et d’une prétendue autorégulationcapitaliste dont on voit avec la crise qu’elle est au mieux une fumisterie.

En 2004 au moment où Air Littoral et Air Liberté feront faillite alors qu’elles assuraient les dessertes de Calvi et de Figari, il faudra rétablir le service public et consentir un engagement financier supplémentaire d’environ 5M€.

La Chambre constate à ce propos, sans donner ce chiffre, qu’un nouveau dispositif a vu le jour à travers une délibération de l’Assemblée de Corse prise au mois de novembre de cette même année« après que les compagnies Air Liberté et Air Littoral, qui assuraient précédemment une partie du service, aient cessé leur activité ». Enfin, l’OTC versera à Air littoral plus de 700 000 € en pure perte puisque les versements interviendront après la cessation totale d’activité de la compagnie.

En 2008 le périmètre des DSP aériennes sera revu à la baisse avec pour corollaire une diminution de 6 M€ des compensations versées à CCM Air France et une politique tarifaire désavantageuse pour les usagers du service public non-résidents mais par contre coup favorable à la concurrence installée sur Roissy s’agissant du Paris Corse. Quelques mois avant, en octobre 2007 le président de la République s’étonnait, faut-il le rappeler, de l’absence de compagnies lowcost sur les lignes de la Corse.

La Chambre met, par ailleurs, l’accent sur plusieurs irrégularités budgétaires et comptables et demande la correction de ces « désordres ».« Ainsi, à titre illustratif, il est constaté un dépassement au chapitre « Autres charges de gestion courante »d'un montant de 15,75 M€ » et des dépenses parfois allant bien au-delà des crédits votés.

Une véritable tutelle de la CTC est donc recommandée pour toutes ces raisons mais également pour éviter, selon les magistrats « une gestion du personnel discrétionnaire et globalement défaillante ». Bien sûr en le relevant nous ne voulons pas mettre en cause la possibilité pour les personnels d’avoir le statut le plus avantageux mais les mots ont un sens et ne veulent pas dire cela.

Nécessairement, l’Assemblée de Corse est invitée à dresser« le bilan de l'utilité ou non de l'office des transports, et des avantages et des inconvénients qu'il y aurait à maintenir ou à supprimer cet office ». Comme nous avons eu l’occasion de le dire nous pensons que l’OTC et l’ensemble des Agences et Offices ont leurs raisons d’être, que leur existence est une avancée démocratique incontestable destinée à répondre aux exigences posées par les transferts de compétences.

Le problème majeur auquel l’OTC est confronté, le « déficit structurel cumulé », tient plus des choix politiques majoritaires retenus dans le cadre de la libre concurrence que des disfonctionnements. Ceux-ci ont une influence d’autant plus importante que le « pilotage à vue » selon la définition de la Chambre est devenu coutumier.

L’institution n’est en définitive que l’instrument d’une politique. En soi elle n’est pas responsable et sa suppression ne changerait rien du point de vue des choix politiques. Or c’est précisément ces derniers qu’il faut changer. C’est la position que nous avons défendue après l’adoption de la loi de janvier 2002 qui posait déjà cette question à l’Assemblée de Corse.

De fait cela conduit à prendre en compte les recommandations faites par la Chambre dans les trois domaines structurant de l’OTC son fonctionnement à réformer « très profondément », son rôle à « définir clairement dans la conception et la gestion de la continuité territoriale aussi bien maritime qu'aérienne », la tutelle « exercée véritablement par la CTC sans aboutir à doublonner les entités ».

Tels sont les enseignements que nous tirons de ce rapport qui met à la disposition de l'Assemblée de Corse un état des lieux lui permettant de redéfinir au mieux sa politique de desserte public de la Corse dans un cadre d’intérêt général.

 

Michel Stefani

 

Chambre régionale des Comptes (CRC)

Office des transports de la Corse (OTC)

Collectivité territoriale de Corse (CTC)

Obligations de service public (OSP)

Délagation de service public  (DSP)

Société Nationale Corse Méditerranée (SNCM)

Compagnie Méridionale de Navigation (CMN)

Corsica Ferries France (CFF)

 

 

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