Bon vent au Jean NICOLI
Le lancement du Jean NICOLI sur les lignes de continuité territoriale entre le Continent et la Corse a eu lieu le 27 avril. La cérémonie organisée par la SNCM s'est déroulée en deux temps avec l'intervention du PDG de la Compagnie Gérard Couturier puis des présidents de l'Exécutif et de l'Assemblée de Corse, du Maire d'Ajaccio et du Préfet et enfin de Léo Micheli.
Ce navire de 200 mètres, affecté aux lignes de service public, porte désormais le nom du Résistant symbole à bien des égards du meilleur engagement qui soit au service de la "cause des hommes et de leur émancipation". A la passerelle d'accès les marins CGT font part de leur inquiétude alors que l'Exécutif de la Collectivité territoriale de Corse envisage de réduire à nouveau la compensation financière versée à la SNCM et la CMN au titre de la délégation de service public.
Après la Marseillaise et le chant des partisans qui ont conclue les discours officiels, Léo Micheli ancien compagnon de combat de Jean Nicoli montrera en quoi leur engagement humaniste était du plus haut niveau non sans faire partager une forte émotion à l'assistance. Le secrétaire du Parti communiste dans la période de la clandestinité en charge de la politique des cadres, souligne les enjeux et les raisons qui pouvaient conduire ces hommes à se surpasser au point d'affronter la mort avec la certitude d'agir conformément à leurs convictions.
"Le combat pour la libération était social et politique. Après l'écrasement de la jeune République espagnole, dans le prolongement du Front populaire il fallait rassembler sur le vécu quotidien ce sont les grandes manifestations des 22 et 23 mars et du 1er Mai 1943 avec pour mots d'ordre "le pain et la liberté". L'axe politique contre l'occupant fasciste et le pouvoir de Vichy été fondé lui sur le thème patriotique et unificateur de la "Corse française" comme sur l'orientation majeure de notre démarche considérant que "la libération de la Corse ne pouvait être que l'œuvre du peuple corse lui-même". Cette visée sera développée dans l'appel au peuple corse du 1er mai 1943 imprimé à plusieurs milliers d'exemplaires dans la grotte de Porri.
Léo Micheli explique alors : "Même si dans certaines circonstances nous étions amenés à nous servir de nos armes, nous n'avions pas le culte de la mitraillette, nous préférions l'arme de la conviction. Nous avions fait notre la devise de Paoli, à la une du journal Terre Corse "Forti seremu si seremu uniti". Le mouvement de résistance pris un essor considérable englobant tous les milieux, gagnant les moindres villages où les patriotes, c'est ainsi que les habitants les appelaient, étaient accueillis, entourés et accompagnés afin de les préserver des représailles des chemises noires.
Ce mouvement populaire reposé sur une dynamique unitaire dont il fallait absolument préservé le caractère. Elle trouva en Jean un promoteur particulièrement efficace et disponible dans toute la Corse. A ses côtés ils seront nombreux les anciens des brigades internationales, "ceux qui croyaient au ciel et ceux qui n'y croyaient pas" à arpenter les routes et le maquis pour préparer l'insurrection populaire libératrice dès l'annonce de la capitulation italienne.
"Cette perspective n'était pas acceptée, rappelle Léo Micheli, par les autorités d'Alger qui préféraient une libération plus conventionnelle avec les militaires en tête et un peuple spectateur plutôt qu'acteur de sa propre destinée. Il en sera autrement grâce à ces hommes et ces femmes dont le courage et l'abnégation force encore le respect. Ils se tenaient debout face à l'occupant dans le refus de la barbarie et le combat antifasciste quand d'autres se montraient serviles avec l'occupant et le pouvoir de Vichy.
Si certains s'interrogent sur la permanence de leur message à travers le temps, ils trouveront pour partie réponse dans le fait qu'ils se battaient pour une cause juste. C'est la raison pour laquelle nous pouvons dire encore aujourd'hui que nos morts restent vivants dans nos combats pour changer de monde. Quelques semaines seulement après l'intronisation de Barak Obama, l'espoir suscité par cet événement ne fait qu'en souligner l'ardente nécessité.
Il y avait une grande fraternité entre nous forgée dans le combat et les épreuves mais surtout il y a avait la volonté partagée de tous afin de privilégier en toutes choses l'intérêt supérieur de la cause celle dont Jean parle dans sa dernière lettre en évoquant "tous les spoliés de la terre" au nom desquels il s'apprêtait à mourir.
Léo Micheli évoque alors la personnalité de Jean Nicoli : "Jean était un homme de son temps qui avait vu en Afrique ce que pouvaient être les aspirations des peuples enchaînés alors qu'ils étaient sous l'administration coloniale. Dans ce cheminement il découvre les communistes et le Parti auquel il adhéra avec enthousiasme. Quelques heures avant de mourir il aura cette phrase significative à ses camarades "pourquoi ne vous ai-je pas connu plus tôt".
L'enseignant qu'il est lit, beaucoup, avec appétit Romain Rolland et ses rêves humanistes d'une Europe de paix alors que celle-ci résonne encore des atrocités de la guerre de 14. Il étudie l'Etat et la révolution de Lénine, approche la Commune de Paris et les questions d'unité nationale par la démocratie communale. Il lira l'éthique de Spinosa pour lequel "le bonheur n'est pas la récompense de la vertu mais la vertu elle-même"...
A ces enfants il demandera de porter pour tout deuil "un œillet rouge et une tête de maure". "A cette heure suprême je comprends le sourire des martyrs... si vous saviez le bonheur de mourir pour les spoliés de la terre". Jean combattait le fascisme et entrevoyait cette perspective d'une vie meilleure pour les exploités. Elle était inscrite dans la vision humaniste, internationaliste de Jean comme dans le programme du Conseil national de la Résistance.
Voila en quoi la décision, de baptiser ce navire du nom de Jean Nicoli, est d'intérêt national. En ce sens je veux également exprimer notre solidarité avec les marins. Enfin et cela pour apporter une touche littéraire à la chose c'est en lisant Victor Hugo, ici même au cœur de la méditerranée, que l'on appréciera au mieux ce qu'un navire peut être comme lien à travers les mers :
"A la mort des fléaux à l'oubli généreux,
A l'abondance, au calme, aux rires, à l'homme heureux,
Il va ce glorieux navire"
Bon vent au Jean NICOLI.
Michel CASANOVA