“Jaurès voulait changer la société mais sur des bases toujours démocratiques“
“Jean Jaurès les noces heureuses du journalisme et de la politique“. La Conférence débat organisée par le Comité corse des Amis de l’Humanité (1) et animée par Charles Silvestre ancien rédacteur en chef de l’Humanité a tenu sa promesse.
En cette période où les repères sont volontairement effacés aussi bien en politique que de point de vue de l’information, la figure emblématique de Jean Jaurès a offert cette possibilité rare de redonner du sens aux deux. Charles Silvestre nous replonge en effet dans cette époque où le combat pour le progrès social et l’information sérieuse et indépendante de la finance, se frayent difficilement un chemin au cœur de la révolution industrielle dans une France encore paysanne et rurale et aux prémices de la boucherie de 14-18.
Jean Jaurès vient au monde à Castres dans une famille modeste de province. Normalien agrégé de philosophie, il enseigne à Albi et Toulouse avant d’être élu député républicain en 1885 à Castres. Jaurès propose des lois et des réformes sociales ambitieuses. Il prononce des discours qui font référence sur le droit des communes, l’enseignement primaire, les accidents du travail, l’interdiction des candidatures multiples, la liberté syndicale, les libertés du personnel enseignant, la suppression de la peine de mort, le socialisme, l’affaire Dreyfus. Au Pré Saint-Gervais devant 150 000 personnes, il s’opposera à la loi des 3 ans (augmentation de la durée du service militaire). Il participe à la rédaction de la loi sur la séparation des Eglises et de l’Etat, combat les lois scélérates et la politique répressive du gouvernement en avril 1894 qu'illustre la censure imposée aux journaux et aux députés socialistes.
S’agissant de l’affaire Dreyfus, Jaurès change d’opinion à la parution du “J’accuse“ d’Emile Zola. Convaincu dans un premier temps que le mensonge ne pouvait être de règle dans l’armée républicaine, il en reviendra au bénéfice d’un travail d’investigation journalistique qu’il publie dans La Petite République sous l’intitulé “Les preuves relatives à l’affaire Dreyfus“. Il gagne alors une influence politique nationale et il est fait appel à lui pour un cycle de conférences en Amérique du Sud. Déjà, il s’attache à montrer l’articulation entre la réalité des migrations et la construction des nations et salue d’ailleurs l’Amérique du Nord capable d’accueillir “les pauvres migrants européens“.
Homme de très grande culture, il embrassera la cause ouvrière aux cotés des mineurs de Carmaux, lesquels se mettent en grève en 1892 pour défendre l'un des leurs, Jean Baptiste Calvignac, licencié après avoir été élu maire de la ville. Dans La Dépêche du Midi Jaurès les défend et entre en journalisme. Dans ce contexte, marqué par ce qu’il voit et vit avec ces ouvriers, il devient socialiste. Jaurès s’intéresse à tout et s’informe sur tout. Il argumente pour faciliter la compréhension des choses. C’est un grand pédagogue. La presse aujourd’hui en crise aurait quelque chose à tirer de l’analyse de l’expérience de Jaurès qui a montré qu’il ne pouvait y avoir d’un coté un journalisme social et de l’autre un journalisme culturel. Les articles de Jaurès sur Rimbaud par exemple montrent qu’il nourrissait sa clairvoyance de l’anticipation manifestée par le poète, comme de l’art en général, notamment des impressionnistes.
Sa conception de la presse et de son rôle, témoigne d’une double exigence d’ouverture au plus grand nombre de voix et d’indépendance par rapport aux puissances capitalistes. L’éditorial de Jaurès dans le premier numéro de l’Humanité le 18 avril 1904 détaille sa volonté résumée ainsi dans le titre qu’il choisit : “Notre but : l’Humanité. “Nous serons heureux d’accueillir ici toutes les communications où se manifestera la vie ouvrière“. Les signatures d’Aristide Briand, Anatole France, Leon Blum seront fréquentes dans les colonnes du journal.
Pour Jaurès, la question sociale est centrale. S’il se bat contre la guerre, c’est parce qu’il vise une nouvelle société, un socialisme qui repose sur l’association des travailleurs, pour se défendre mais aussi pour conquérir leurs droits. Des travailleurs capables de travailler et penser ensemble mais aussi de gérer quand cela devient nécessaire et de passer du statut de “dirigés“ au statut de “dirigeants“. En ce sens, il y a des moments clé, quand Jaurès inaugure la verrerie à Albi, gérée par les ouvriers, ou la première coopérative viticole de Maraussan.
Jaurès a une haute conscience de la condition ouvrière. Il le montre entre autres sur la question de la retraite mise en place en 1910. Homme de la révolution sociale, ses bases sont dans la Révolution Française et le triptyque Liberté-Egalité-Fraternité, dans la République décliner jusqu’au bout sur les lieux de travail. Il ne veut pas en rester au seul verbe, aux discours, aux protestations. Il veut que cela s’engage pou ensuite se battre et faire avancer les choses. Il en fait la démonstration avec la loi sur les retraites qui, sans baisser l’âge de départ, écrit le principe de retraite par solidarité, avec la participation de l’Etat et du patronat. C’est une amorce et c’est çà qui l’intéresse.
Jaurès, on le voit n’a rien d’un utopiste comparé à Clémenceau prétendument réaliste, on le voit sur l’affaire Dreyfus, la violence coloniale et la “grande guerre“ dont la grandeur ne fut qu’abomination. Le réalisme de Clémenceau n’a été que "jusqu’auboutisme" jusqu’au Traité de Versailles. C’est pour partie dans l’humiliation imposée à l’Allemagne qu’on trouve pour partie les rasions de la montée du fascisme en Europe derrière l’instrumentalisation du national socialisme et la promotion d’Hitler et du nazisme contre le mouvement ouvrier en pleine progression.
Jaurès a toujours analysé les relations internationales sous l’angle de la diplomatie, de la préservation de la paix et du développement des idées socialistes à travers le monde. Il voulait changer la société sur des bases toujours démocratiques, humanistes et internationalistes.
Michel Stefani
(1) Comité corse les Amis de l’Humanité Impasse Bertin 20000 Ajaccio (adhésion 20€)