Desserte maritime : aléas et risques du cheminement chaotique de la majorité régionale

Depuis l’ouverture à la concurrence, la desserte publique maritime, a été l’objet d’une guerre sans merci, suscitée par une déréglementation libérale mise au point à Bruxelles et déclinée via Paris dans le seul but d’octroyer aux opérateurs privés sinon low cost l’exécution de ces services vitaux pour la Corse.
L’objectif est double réduire l’enveloppe de continuité territoriale et permettre aux opérateurs prives de faire de bonnes affaires. A l’évidence les perdants sont toujours du même côté celui des salariés dont les emplois sont menacés en permanence celui des usagers auxquels la baisse des tarifs est toujours promise sans jamais être réelle.
Le processus de casse du service public a pris plus de 15 ans avec des étapes décisives notamment la privatisation puis la liquidation de la SNCM avec en toile de fond les scandales financiers d’Etat à travers l’épisode Buttler, puis la cession par le Tribunal de commerce de Marseille pour une somme dérisoire des quelques 250 Millions d’euros d’actifs de la compagnie constitués à partir de l’argent des contribuables. On se souvient que cela a été rendu possible par des décisions fallacieuses de la Commission européenne et d’amendes infligées à la compagnie pour justifier cet autre scandale.
Aujourd’hui, après une OPA cautionné par l’Etat et réalisée par le consortium des patrons corses avec le soutien de la majorité territoriale nationaliste, un épisode nouveau peine à s’écrire dans l’accumulation de procédures transitoires et de tests marché qui effectivement tranchent avec ce qui a pu se faire précédemment sans toutefois correspondre aux principes de clarté si souvent affichés.
La plus grande incertitude demeure alors que la procédure essentielle, celle qui devrait déboucher sur une DSP de dix ans, est lourde d’enjeux économiques et sociaux comme budgétaires avec la compensation financière prélevée sur l’enveloppe de continuité territoriale qui pourrait avoisiner le milliard d’euros sur la durée de la convention.
Et de ce point de vue, il est assez cocasse de lire l’un des principaux actionnaires de CM Holding dirigeant de Corsica Linéa expliquer qu’il s’était trompé quand il affirmait avoir la capacité à prester le service sans compensation financière. Le montant des compensations financières versées à Corsica Linéa pour 15 mois sur les trois lignes de Marseille vers Ajaccio, Bastia et Ile Rousse sera respectivement de 32.2 millions d’euros, 31.8 millions d’euros et 15.9 millions d’euros soit 80 millions d’euros au total.
Les temps changent les avis aussi mais le cynisme demeure surtout quand cette construction politique, économique et sociale repose sur la dénonciation permanente du « monopole public » prétendument « défaillant et coûteux ». La modestie ne s’affichant pas dans ces propos « socioprofessionnels » on rappellera simplement la décision de justice, mettant un terme à l’opération Stena Carrier, ce navire affrété par le consortium des patrons corses et mis en service illégalement sur la desserte Marseille Bastia en janvier 2016.
Les personnels de la CMN ont légitiment des reproches à adresser aux dirigeants de la compagnie et à son actionnaire principal STEF TFE qui n’ont pas répondu correctement à l’appel d’offres. Cependant l’arbre ne peut cacher la forêt et, à ce stade, s’agissant des lignes non attribuées de Marseille Porto Vecchio et Marseille Propriano, les interrogations peuvent surgir quant à la suite.
La procédure étant relancée, il est impossible que la CMN soit seule candidate. Corsica Linéa et Corsica Ferries le seront aussi probablement et les offres devront en tous points satisfaire aux critères du règlement d’appels d’offres identique au précédent. Alors que les compensations financières demandées sur ces deux lignes par les deux candidats CMN et Corsica Linea ont été considérées comme surévaluées d’environ 9 millions d’euros par la CdC autorité concédante qui a déclaré l’appel d’offres infructueux.
La nouvelle procédure se déroulera en connaissance de causes et cela pour tous les candidats potentiels. Sauf à nier l’évidence, il y a de quoi susciter l’inquiétude des personnels au delà des engagements de la direction de la CMN consistant à garantir l’emploi jusqu’en 2021 ou théoriquement la DSP de dix ans devrait commencer.
Dans les tous prochains mois la majorité devra enfin donner une traduction concrète, compréhensible et fiable, à ses propos concernant l’architecture de cette DSP après avoir été obligée par le Parquet national financier de renoncer au rachat des navires Paglia Orba et Monte d’Oro. On voit bien dans son cheminement chaotique, arcboutée qu’elle est sur sa revendication politique de compagnie régionale, les aléas et les risques, d’autant que les propos des dirigeants de Corsica Linéa portent à croire que l’ambition d’opérer seuls en tant que « privé » la desserte de la Corse au départ de Marseille demeure intacte.
Ce qui se passe aujourd’hui témoigne et ne peut être déconnecté de ce qui se passera avec cette procédure nouvelle qui en plus du ligne par ligne reposera sur la création inédite de deux SEMOP distinguant les ports principaux des ports secondaires. Dans la première société desservant les ports principaux l’actionnariat privé serait majoritaire dans la seconde ce serait au contraire l’actionnariat publique avec la CdC qui serait majoritaire. Dans tous les cas la volonté de constituer des excédents sur l’enveloppe de continuité territoriale déspécialisée à cet effet s’affirmera toujours afin de dégager les marges de manœuvre budgétaires permettant de pallier aux baisses de dotations. Voila pourquoi il est impératif de faire valoir l’intérêt général comme le demande les personnels des deux compagnies CMN et Corsica Linéa et de faire en sorte que les deux opérateurs historiques renouent les fils du partenariat dés à présent.
Michel Stefani