La mobilisation contre la cherté de la vie en Corse reste d’actualité

L’Assemblée de Corse a adopté une résolution solennelle concluant les travaux de la Conférence sociale ouverte le 14 janvier à Bastia alors que la mobilisation des gilets jaunes en était à son acte 10. Adoptée à l’unanimité, elle a été suivie d’une standing ovation et d’applaudissements au-delà même de l’hémicycle dans les rangs du public.
L’euphorie, comme l’excès de communication, fait souvent écran à la perception précise des choses et cette délibération n’y échappe pas. Pourtant il était question de répondre à la récurrente question de la cherté de la vie. La réponse est bien là mais à défaut d’examiner les causes de cette cherté de la vie sans écarter les données les plus récentes de l’Inspection générale des finances (IGF), elle ne peut être aboutie. En regardant dans le rétroviseur on comprend la colère qui, depuis la levée du contrôle des prix et le grand mouvement social de 1989, dénonce la cherté de la vie en Corse. À l’époque, socioprofessionnels et dirigeants nationalistes, s’opposaient à la prime de transport revendiquée, en la qualifiant de « prime coloniale ». Pour mémoire, le directeur de la comptabilité publique Michel Prada avait rendu un rapport au gouvernement après des tables rondes mais aucune mesure ne suivra contre la cherté de la vie.
La colère de milliers de salariés était d’autant plus légitime qu’au titre de la solidarité nationale existait le franco de port afin que le coût des marchandises entrant en Corse ne soit pas impacté par le transport. Ce principe normalement en application est financé par l’enveloppe de continuité territoriale (187 M€). Pour ce qui est du soutien à la consommation les réfactions de TVA (194 M€ en 2014) devaient elles aussi contribuer à la parité des prix avec le continent. Mais ces taux minorés de TVA n’ont eu aucun impact favorable au pouvoir d’achat. Tous les dix ans, en valeur d’aujourd’hui, cela correspond à un Plan exceptionnel d’investissement (PEI). Autrement dit nous en sommes à 6 milliards d’euros et cela n’a même pas été évoqué par l’Assemblée de Corse.
Mieux il est demandé au gouvernement, non pas de faire la transparence et de situer les responsabilités sur ce détournement, mais d’une part d’accorder, sans connaître les résultats de l’audit de la Direction de la concurrence et de la répression des fraudes (DIRECCTE) un bonus avec un passage de la TVA à 2.10 pour ce qui est des carburants et d’autre part d’en rester au statu-quo pour ce qui est des produits de consommation courante. C’est nous dit-on les bases du Statut fiscal et social. A ce stade le caractère social devient une énigme surtout si on retient que ce transfert de fiscalité à la Corse, comme cela a été rappelé par le premier Ministre, entraînerait une baisse de la solidarité nationale.
Sur les deux point traités les carburants et les produits de consommation courante on ne peut pas déceler l’expression, nécessaire, d’une forte volonté politique de la CdC afin que les sommes colossales « captées », selon le terme employé par l’IGF, sur la solidarité nationale servent l’intérêt général et non des intérêts particuliers.
S’agissant des carburants il faudrait savoir où passent les 29 M€ de réfaction de TVA avec un taux minoré à 13 % au lieu de 20 % afin d’être entendu pour obtenir 11 % d’allègement supplémentaire. S’y ajoute le gel de la fraction de TIPP dévolue à la CdC soit 1 M€. Les études des 2 cabinets mandatés par la CdC donneraient une explication « détaillée » à l’étrange écart de prix avec le continent pouvant atteindre les 16 centimes au litre. Il en serait de même sur les marges plus élevées de 5 centimes par litre d’essence et de gasoil. Quant à comprendre l’objectif de maintien du maillage territoriale de stations service, le silence observé sur la progression fulgurante des dividendes distribués par Rubis et Total, passant de 2 M€ en 2012 à 10 M€ en 2017, interpelle. Enfin, pour l’avoir réclamé souvent seuls à l’Assemblée de Corse, on retiendra la demande visant à établir « un contrôle des prix et des marges » par l’Etat.
S’agissant des produits de consommation courante il est proposé de créer « un panier de plus de 200 produits de première nécessité à des prix garantissant un accès facilité à ces produits pour les consommateurs, et particulièrement ceux en situation de difficulté économique et sociale ». La liste des produits n’est pas arrêtée mais « les grandes enseignes corses de la distribution » promettent d’appliquer les prix en vigueur sur le continent hors île de France « ceci impliquant que les prix pratiqués sur les produits du panier font partis des 25 % des prix les plus bas… ». Corsica Statistica sera appelée à vérifier que cette mesure homéopathique, au regard du dispositif de franco de port et des réfactions de TVA sur toutes les marchandises, ne se traduise pas par une hausse des prix des produits non listés. On notera qu’il n’est pas demandé un contrôle par l’Etat des prix et des marges pratiqués par les grandes enseignes corses de la distribution.
Au final, avec cette résolution solennelle, les actionnaires de Rubis et Total comme ceux du consortium des patrons corses pourront continuer à capter la solidarité nationale au détriment de l’intérêt général. En effet à aucun moment il n’est demandé que l’indulgence de l’Etat à l’œuvre depuis 30 ans cesse, et les propos de Madame la Préfète (CM 28/02/2019) ne laissent pas entrevoir un changement de cap. L’audit de la DIRECCTE nécessiterait, nous dit-elle, encore 4 mois en raison de la difficulté à faire la clarté sur le seul mécanisme de formation des prix du carburant depuis le continent jusqu’en Corse. Voila pourquoi la mobilisation contre la cherté de la vie en Corse reste pleinement d’actualité afin que le gouvernement, dont c’est le rôle, finisse enfin par s’attaquer sans ambiguïté, au scandale. Ce sera la seule façon de faire respecter les principes républicains pour rendre du pouvoir d’achat aux ménages insulaires.
Michel Stefani