Le deal du ministre des finances avec la majorité régionale et le patronat

La visite éclair du ministre des finances ne laissera pas un souvenir impérissable à celles et ceux qui angoissent chaque fin de mois dans cette région la plus pauvre de France métropolitaine.
En ignorant les organisations syndicales de salariés le ministre a montré tout l’intérêt que son gouvernement accorde à cette urgence sociale. La publication avant son arrivée des bonnes feuilles du rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) était une façon de préparer les esprits au rabotage des « niches fiscales » sur le vin, les cigarettes, les alcools visées par Bruxelles et enfin les droits de succession.
Au final le ministre s’en tiendra aux seuls tabacs et alcools sous couvert de santé publique. Dans ce cadre, les recettes, 93.4 millions d’euros, actuellement allouées à la Collectivité de Corse (CdC) seraient après l’alignement du taux de TVA versées aux organismes de sécurité sociale. Une fraction additionnelle de la TVA perçue en Corse pourrait dés lors être affectée à la CdC en compensation de ces recettes perdues. Le paquet de cigarettes est aujourd’hui 25% moins cher que sur le continent.
Pour le vin, le taux zéro de TVA sera maintenu pour une période transitoire avec des mesures d’accompagnement vers la sortie définitive du régime d’exonération « sans fondement juridique ». Les viticulteurs vont surement grincer des dents. Toutefois, on constatera que cet allègement fiscal n’a jamais été répercuté sur les ventes en Corse.
Les droits de succession seront exonérés jusqu’en 2028 de 50%. 1 ménage sur 2 en Corse ne possède rien. Les détenteurs de gros patrimoines, une minorité, en sont les principaux bénéficiaires pour un montant estimé à 50 millions d’euros par an par la mission.
Autre question soulevée celle des carburants au cout exagérément élevé à la pompe avec une sur-ponction locale que le ministre reconnait sans toutefois demander à ses services d’en clarifier les raisons sauf à expliquer qu’elle découlerait d’une « absence des moyennes et des grandes surfaces du marché de la distribution de carburant ».
En avril 2015, une étude de l’INSEE soulignait : « les ménages corses disposant d’un véhicule dépensent en moyenne annuelle un millier d’euros soit quelques 300 euros de plus qu’en moyenne de France métropolitaine ». Dans ces conditions, 28% des ménages en Corse – environ 36 000 – sont en situation de vulnérabilité énergétique sur le carburant, contre 10,2% au plan national.
Cette atteinte au pouvoir d’achat est aggravée par un autre détournement celui des réfactions de TVA sur les biens de consommation courante. « Selon l’INSEE, en 2015, les produits alimentaires présentaient un surcoût de 8,7% en Corse par rapport à la moyenne de la France de province ». Au total, le rapport le confirme, ce sont plus ou moins chaque année 195 millions d’euros qui s’évaporent au détriment des ménages alors que le taux de pauvreté en Corse était en 2014 de 20,3% contre 14,7% au plan national. Néanmoins, et c’est un paradoxe le renoncement à l’aide sociale est en Corse plus fort que sur le continent. Le recours aux prestations y est de 2 à 5 point inférieur à la moyenne nationale.
Ainsi, au sein des principaux taux réduits de TVA, représentant une dépense fiscale totale de 171 millions d’euros l’IGF relève que :
- les distributeurs peuvent être considérés comme en partie bénéficiaires des taux réduits pour une dépense fiscale totale de 73 millions d’euros ;
- les viticulteurs corses peuvent être considérés comme en partie bénéficiaires de l’absence de TVA sur les vins produits et consommés en Corse (lesquels sont en concurrence avec des vins de l’extérieur), pour un montant de 13 millions d’euros ;
- les entreprises et personnes fournissant des services non « délocalisables », de nature immobilière, peuvent être considérés comme en partie bénéficiaires des taux réduits pour une dépense fiscale totale de 85 millions d’euros.
Cette captation de la solidarité nationale au bénéfice quasi exclusif d’intérêts particuliers, pour l’essentiel le consortium des patrons corses regroupant les activités d’hôtellerie, de BTP, de transports et de distribution, n’interpelle pas le ministre plus que ça. Mieux les principaux fondateurs de cet oligopole étaient ses invités pour un entretien à huis clos avec les élus.
Pourtant les inégalités sont si frappantes que la Corse a vu en 10 ans le nombre de contributeurs à l’Impôts sur la fortune augmenter de 150%. Les 24 recommandations de l’IGF éludent cette réalité fondée sur la persistance d’un système auquel Bercy manifestement ne veut pas remédier afin de rendre véritablement du pouvoir d’achat aux ménages et réduire la fracture sociale. L’écart de revenu entre les ménages les plus riches et les plus pauvres dépasse les 6 points.
La mission confiée à l’IGF consistait à établir « un diagnostic partagé [et à…] faire un inventaire des dispositifs, fiscaux et budgétaires, de soutien public au développement économique de l’île ; et d’évaluer l’ampleur et l’efficacité de ces dispositifs et aides au regard des handicaps que l’économie de l’île doit surmonter et des potentialités de son développement. » Même sans s’attaquer aux inégalités, le rapport est une pépinière d’informations…
Il tord le cou à l’argument abondamment répété, affirmant que la Corse derrière serait à la traine des autres iles de méditerranée au motif de son statut. Il n’en est rien alors que la Corse a le secteur industriel le moins développé, la population âgée la plus importante mais le chômage est nettement plus élevé dans les quatre autres iles du comparatif où les phénomènes de déscolarisation des jeunes apparaissent plus élevée que la moyenne nationale et européenne. La Corse ce pendant se positionne mieux que les îles espagnoles et italiennes. Il en est de même pour le PIB de 10 à 50 % supérieur.
Entre 1990 et 2015 « le PIB par habitant en Corse a augmenté en moyenne de 1,2 % par an en euros constants, soit 0,3 point de plus que dans la moyenne de la France de province (et ce malgré une croissance démographique plus dynamique en Corse) ». Ainsi la juste redistribution de la richesse produite en grande partie grâce à la commande publique n’a pas eu lieu. Partant de là les mesures de correction auraient du être préconisées en faveur des ménages modestes mais c’est loin d’être le cas.
Il constate également que l’abondance de promotions immobilières privées a été stimulée par la TVA réduite sur la construction neuve, l’effet spéculatif est d’autant plus fort que les opérations de financement du logement social sont de ce fait rendues plus difficiles. Les politiques d’austérité, la dernière loi ELAN par exemple, n’arrangent rien alors que la pénurie de logements sociaux est ici particulièrement dommageable pour les ménages modestes. Au 31 décembre 2016, on comptait 413 logements sociaux pour 10 000 habitants, contre une moyenne nationale de 739. 6300 c’est le nombre de demandes insatisfaites en 2016 pour un logement social.
La proposition numéro 7 est par conséquent notoirement insuffisante au regard des besoins puisqu’elle envisage qu’ « un retour à moyen terme au taux normal de TVA » avec un différentiel (non quantifié) favorable au logement social comme sur le continent d’une part et le recours « au prêt à taux zéro pour l’accession à la propriété des ménages les plus modestes ou le programme « action cœur de ville » à Ajaccio et Bastia » d’autre part.
En revanche l’engagement en faveur des entreprises est globalement inchangé en volume. Il représente toujours 100 millions par an sans qu’aucune contrepartie sociale ne soit exigée en termes d’emploi, de salaire et de formation. En même temps le rapport met en relief un taux de rentabilité des entreprises en Corse supérieur à celles des autres départements étudiés. Le ratio chiffre d’affaires (CA) sur nombre de salariés y est plus important en moyenne alors que « les salariés produisent une valeur ajoutée comparable ou supérieure à celle de leurs homologues des départements examinés ».
Du reste, il s’agit de la proposition numéro 14, il est question d’ « Aligner le statut de l’AFPA en Corse sur celui prévalant sur le reste du territoire afin d’assurer une saine concurrence entre prestataires de formation professionnelle pour les demandeurs d’emploi et les salariés. »
Il serait plus judicieux pour lutter contre le chômage et les bas salaires de réorienter l’utilisation de cette part de solidarité nationale versée aux entreprises à travers le Crédit d’impôt Corse (CIICorse) 56 millions d’euros, le Fonds d’investissements de proximité Corse (FIPCorse) 35 millions d’euros, la Contribution foncière des entreprises (CFE) 7 millions d’euros et le Plan exceptionnel d’investissements (PEI) 20 millions d’euros (Plan Pinville 2016).
Ainsi, avec les propositions de Zone franche unique et de modulation de la Taxe de transport le ministre est venu passer un deal avec la majorité territoriale et le patronat, non sans avoir relevé les inconséquences de la revendication d’un « statut fiscal et social » (Voir l’encadré ci-dessous). Le rapport précise la chose suivante :
- premièrement : « Si les impôts et taxes devenaient, au nom de l’autonomie fiscale, des recettes perçues sur le territoire et transférées à la collectivité de Corse, celle-ci devrait alors assurer l’équilibre entre recettes et charges de son budget dans son champ de compétences élargi. Par exemple, un transfert de la CSG/CRDS perçue en Corse devrait s’accompagner de la responsabilité des politiques sociales correspondantes, dont la CdC définirait alors les paramètres et assurerait le financement. Or, sauf à réduire les prestations par rapport à l’existant, ceci est incompatible avec la proposition de diminuer les cotisations et donc les recettes. »
- deuxièmement : « Si, à l’inverse, le transfert de compétences n’est pas effectué, et qu’il s’agit de simples diminutions d’impôts et taxes d’État (par un pouvoir propre de modulation accordé à la région), ces mesures spécifiques affectant les recettes de l’État impliqueraient une diminution équivalente des dotations. La dotation globale de fonctionnement (DGF) est en 2016 de 90 M€ elle devrait donc être supprimée, et il faudrait y ajouter au moins le montant de la (DCT) dotation de continuité territoriale (187 M€) pour absorber, seulement partiellement, le surcoût des mesures réclamées, ce qui conduirait à une impasse budgétaire pour la collectivité. »
- troisièmement : « Enfin, un financement reposant davantage sur les ressources du territoire supposerait la perte, pour la Corse, des capacités d’amortissement des chocs économiques permises par les mécanismes de la solidarité nationale. »
Par ailleurs il est rappelé que « Les fonctionnaires de l’État bénéficient également d’une indemnité compensatoire pour frais de transport (ICFT), de plus de 1 000 € par agent par an, pour un coût total pour le budget de l’État que la mission estime à plus de 16 M€ par an. »
Ainsi, hors DGF, il est rappelé que « l’Etat apporte chaque année en moyenne 269 millions d’euros » avec la DCT 187 millions, le PEI 66 millions, l’ICFT 16 millions. Viennent ensuite les moyens, même insuffisants, consacrés à l’Education nationale et aux hôpitaux sans oublier les surcouts de production d’énergie compensés par la péréquation tarifaire.
Tels sont les données qui permettent d’apprécier les effets d’une réduction de la solidarité nationale dans le cadre d’une « autonomie de plein droit et de plein exercice » voire d’une « indépendance » et des transferts de compétences et de fiscalités envisagés par la majorité régionale nationaliste.
Le ministre a donc proposé un toilettage des « onze dispositifs fiscaux spécifiques à la Corse d’un montant annuel total d’au moins 379 M€ », plus de 4% du PIB, pour un ciblage plus pertinent de cette « dépense fiscale » absorbée pour ce qui est des réfactions de TVA à 88% par cinq grandes catégories de biens et services :
- 46 M€ sur la construction neuve hors logements sociaux ;
- 39 M€ sur l’hébergement touristique ou l’hébergement de personnes âgées et dépendantes ;
- 37 M€ sur les produits alimentaires ;
- 28 M€ sur les produits pétroliers ;
- 21 M€ sur les boissons alcoolisées ;
Auxquels s’ajoutent pour les 12% restants :
- 5 M€ sur le trajet (maritime ou aérien) à l’intérieur de l’espace maritime national ;
- 19 M€ sur l’accès à des réseaux essentiels (eau, électricité, gaz).
On notera au passage, à propos de la déspecialisation de la DCT, que les reliquats plus de 80 millions d’euros n’ont pas été pertinemment réutilisés en soutien des actions de revitalisation rurale et qu’à tout le moins il aurait été plus efficace de les affecter à une baisse significative des tarifs sur les liaisons de service public maritime et aérien.
Avec la proposition n° 18, c’est de la dernière tranche du PEI qu’il est question et le temps presse. Pour cette raison le ministre veut « cibler les 377 millions d’euros d’investissement public cofinancé par l’État en Corse sur un nombre limité de grands projets structurants et d’aménagement sachant que « les réalisations ne sont pas toujours à la hauteur des ambitions de 2002. Certains projets n’ont pas vu le jour, notamment dans le domaine routier, où seulement 40 % des crédits initialement prévus ont été programmés, quand d’autres ne semblent plus pouvoir être envisagés dans l’horizon de temps restant du PEI, à l’instar des réaménagements nécessaires des ports de commerce (en particulier celui de Bastia) ou des équipements de gestion des déchets ».
A travers ses 400 pages, le rapport de l’IGF dresse bien l'état des lieux aux plans économique et social sans sortir du logiciel libéral pour véritablement réduire les inégalités, rendre du pouvoir d’achat aux ménages modestes, inciter à l’augmentation des salaires, créer des emplois stables, promouvoir le service public… Dans ces conditions, le deal passé entre le ministre le patronat et à la majorité régionale, ne permettra de relever le défi du progrès social en Corse.
Michel Stefani
Les 10 propositions du projet de statut social et fiscal qui ne fait pas de l’augmentation des salaires une priorité. 1- diminution de 50% de la CSG CRDS, 2- défiscalisation des heures supplémentaires, 3- droits de succession : prorogation du régime d’exonération de 50 % de la valeur des biens immobiliers situés en Corse et à terme transfert de la compétence à la Collectivité, 4- CDI du saisonnier, 5- CICE à 9%, 6- baisse des charges pour les entreprises - par exemple 50 % des charges URSSAF et MSA, 7- crédit d'impôt pour l'investissement en Corse (CIIC) : taux à 30 % pour les TPE et les PME, élargissement de l'assiette, 8- sécuriser tous les taux de TVA*, 9- création d'une zone fiscale prioritaire urbaine**, 10- taxes pour protéger le patrimoine : taxe sur les résidences secondaires, taxe développement durable, taxes pour accéder aux sites remarquables (marins et terrestres) de l'île en échange de prestations. Source : Présidence de l’Assemblée de Corse –dossier de presse du 17 février 2017. * Et réduire le taux de la restauration de 10% à 2,1%, réduire de 20% à 10% le taux applicable aux tours opérateurs en Corse. ** Si le tableau des 10 propositions phares ne cite que la zone fiscale prioritaire urbaine, les déclarations des élus de la majorité à l’Assemblée de Corse mettent en avant la zone fiscale prioritaire de montagne, évoquée également dans les 40 mesures
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