Bruno Le Maire a ignoré la Corse la plus modeste

Après la visite de Bruno Le Maire ministre de l’économie et des finances, l’heure est au bilan. Venu pour « écouter » plus qu’annoncer, il a eu, en bon libéral qu’il est, l’oreille sélective et ignoré les organisations syndicales non patronales.
Nous sommes ravis de savoir qu’il a eu un entretien en tête à tête dans une salle neutre avec le président de l’exécutif auquel il a laissé son numéro de portable avant quelques rencontres ciblées particulièrement avec le patronat. In fine, c'est toujours toujours la même musique : austérité et mesures fiscales d’allégement tous azimuts pour les entreprises sans contreparties sociales pour les salariés et les ménages insulaires.
Pourtant ce n’est pas faute d’avoir alerté sur la situation qui fait de la Corse
la région la plus inégalitaire de France métropolitaine et sur l’inégale répartition de la richesse produite à travers la commande publique, la continuité territoriale, le franco de port et les mesures de réfaction de TVA sur les biens de consommation courante. Autrement dit le panier de la ménagère et la cherté de la vie.
Le ministre n’a pas entendu comme ses prédécesseurs, il a même mis un point d’honneur à saluer la réussite du Consortium des patrons, responsable de cette situation d’injustice sociale chronique et de fait, il a même normalisé l’opération sulfureuse de reprise de l’ex SNCM un temps examinée par le PNF mais apparemment sans suite. La vérité sur ce scandale d’Etat attendra d’autant plus que la transparence sur les affaires n’est pas dans l’air du temps. Une proposition de loi de LREM dite : « secret des affaires » a même été votée pour en renforcer l’opacité. C’est dire où se situe la volonté politique !
Quelques propos suffisent pour comprendre de quoi a été faite la liquidation de la SNCM « fleuron national de la marine marchande ». Le ministre y est allé de son couplet : « La culture corse n’est pas celle de la grève. C’est celle du travail ». Dans le sillage de ce que furent les encouragements au saccage organisé du service public, il a oublié la privatisation de la SNCM par ses amis, la réduction du périmètre de la délégation de service public (DSP), l’écrémage subventionné illégalement par l’aide sociale à la concurrence déloyale et la suppression de milliers d’emplois.
Dans ces conditions, le ministre n’a pas dit un mot sur la situation qui en résulte avec le monopole de Corsica Ferries sur le transport de passagers et le risque de voir prochainement la CDC verser de nouveau plusieurs millions d’euros aux actionnaires de cette compagnie, habituée des paradis fiscaux, et principale bénéficiaire de la subvention d’aide sociale entre 2002 et 2014 avec plus de 180 M€. Il s'est juste engagé à étudier les moyens de « réduire les écarts concurrentiels entre les marins italiens et marins français de façon à soutenir le pavillon national ».
Toutefois la bataille entre armateurs se poursuit et les alliances objectives d’hier pour plomber la SNCM ne sont plus d’actualité. Les heureux acquéreurs, des quelques 250 M€ d’actifs pour une bouchée de pain, dénoncent le sous dimensionnement de la DSP et réclament plus de capacités quand leurs concurrents de Corsica Ferries trouvent que la compensation financière est encore trop importante.
Le ministre de l’économie et des finances à la vigie du nouveau navire affrété par la Corsica Linéa préfère voire une « capacité d’entreprendre et à créer de la richesse et de l’emploi pour les jeunes ». Il n’est pas du tout inquiété par la domination économique de quelques entreprises qui ont désormais tous les leviers en main pour réaliser un maximum de profits. Leur chiffre d’affaire représente plus de 10 % du PIB de la Corse. 5 % des entreprises insulaires cumulent à elles seules 65% du chiffre d’affaire réalisé par l’ensemble des entreprises recensées en Corse.
Le modèle est celui du tout tourisme et de la captation de la solidarité nationale contenue dans les mesures de réfaction de TVA et de franco de port. Faire miroiter le succès des startups face à la distribution permettra d’esquiver la réalité et d’ailleurs le silence du ministre face à la démesure des grandes surfaces est significatif. Cela étant on ne verra aucun inconvénient à ce que la recherche soit plus soutenue en Corse.
Néanmoins, il a été question « des couts cachés de l’insularité entre 750 M€ et 1.5 milliard », coté MEDEF, mais surtout pas des sur-marges opérées au détriment du panier de la ménagère par détournement des 194 M€ de réfaction de TVA. On peut d’autant plus s’interroger sur les chiffres avancés que les salaires en Corse sont les plus bas et que l’écart de PIB par habitant avec le continent avoisine les 6000 euros. L’autre chiffre à prendre en compte dans le raisonnement est celui des assujettis à l’ISF en Corse dont le nombre augment 3 fois plus vite que sur le continent.
Reste l’anomalie du prix des carburants le ministre l’a relevée pour immédiatement enfoncer une porte ouverte et recommander la distribution en grande surface. Pas un mot sur les 6 points de réfaction de TVA ni sur la TGAP prélevée au prétexte que le carburant distribué, faute d’investissement sur les infrastructures de dépotage, n’est pas le moins polluant.
Les premières lignes du rapport des inspecteurs des finances ont été dévoilées. Et si le ministre entend vouloir mettre fin à un empilement de mesures fiscales injustifiées, il semble comme ses prédécesseurs adepte du tour de passepasse fiscal qui avantage rarement les petits et préconise une « nouvelle donne fiscale ». Le rapport complet sera présenté « aux Corses en juillet » après un « diagnostic partagé » mais déjà le ministre a pointé l’exonération fiscale touchant aux tabacs dans un souci de lutte contre le cancer « On ne peut pas vouloir réduire la consommation de tabac et en même temps garder une fiscalité attractive ».
Enfin, le ministre s’est dit prêt à un faire « un pari historique » un de plus pour « transformer la fiscalité de la Corse (...) mais à partir du moment où on fait le choix d’avoir sa propre fiscalité, on a moins de dotations. Le jour où il y a moins de croissance, il y a moins de recettes fiscales et il n’y a plus de dotations pour compenser la perte. »
La veille, Bruno Le Maire avait souligné, en insistant sur le pacte girondin cher à Emmanuel Macron, que la fusion des trois collectivités et la réforme constitutionnelle prévue constituées un grand pas devant permettre de dégager des « économies de fonctionnement ». C’est un des critères majeurs de l’austérité qui sape les bases de la solidarité nationale dont la Corse la plus modeste, celle que le ministre n’a pas vue, a besoin.
Michel Stefani