Rapport de la Chambre régionale des comptes sur les CFC

« Les CFC sont une grande entreprise de service public à l’échelle de la Corse ».
France 3 Corse vient de rendre public le rapport de la Chambre Régionale des comptes (CRC) concernant la gestion des Chemins de fer de la Corse. Le titre retenu par la rédaction « les Chemins de fer épinglés par la Chambre régionale des comptes » appelle quelques précisions qui ne peuvent tenir dans un reportage de 2 mn.
Le rapport de la CRC est lui-même relativement dense. En prés de 140 pages il confirme avec la vérification des comptes une situation financière saine et une gestion transparente sur la période de référence 2012-2016. Il délivre une analyse argumentée et poussée du fonctionnement des Chemins de fer de la Corse en mettant en exergue des points faibles mais aussi les avancés et les progrès réalisés sur une période relativement courte.
C’est donc en ma qualité d’ancien PDG, puis de président de la SAEML des Chemins de fer de la Corse, que j’ai été amené à répondre aux magistrats par écrits à deux reprises mais aussi dans le cadre de deux auditions la dernière devant la Chambre au complet.
J’ai pu m’appuyer sur la compétence de la direction générale, des services des CFC et de leurs principaux responsables. Nous avons donc pris part à ce contrôle, de manière transparente, en considérant qu’il permettrait sur de nombreux points d’améliorer autant que nécessaire la gestion de la SAEML, de conforter son fonctionnement, de la faire progresser.
Il s’agit de mon point de vue d’une phase nouvelle de relance pour les Chemin de fer de la Corse, expérimentale à bien des égards et riche d’enseignements, pour l’autorité délégante, la Collectivité territoriale de Corse, et l’équipe dirigeante de cette entreprise de service public, appelée à jouer un rôle majeur, aux plans social et environnemental, industriel et économique comme dans le domaine de l’aménagement de la Corse.
Voici donc l’argumentation que j’ai développée notamment dans le courrier joint en annexe du rapport de la CRC.
Sur l’organisation de la Société anonyme d’économie mixte locale (SAEML) les Chemins de fer de la Corse (CFC), l’objectivité commande de revenir sur la période antérieure à la délibération de l’Assemblée de Corse (AC) portant sa création et les problèmes identifiés auxquels il fallait faire face :
- risque d’une rupture de la mission de service public ;
- difficultés au déverminage des AMG et procédures engagées sous garantie constructeur ;
- nécessité de convaincre la SNCF de rester dans le schéma ;
- inquiétudes des agents, à propos de leur avenir, climat social impacté pour partie par celles-ci ;
- défiance affirmée s’agissant de l’entité juridique SAEML et à l’égard de son président.
Le rapport relève un nombre de réunions du Conseil d’administration (CA) insuffisantes au regard des obligations de validation de toute dépense supérieure à 25 000 €. C’était effectivement une contrainte dont les rédacteurs du statut de la SAEML n’avaient pas forcément mesuré la lourdeur mais néanmoins tout à fait compréhensible du point de vue prudentiel. Nous avons respecté une périodicité trimestrielle à nos yeux suffisante et répondu à cette exigence.
Il est également indiqué que nous n’aurions pas mis en place d’outils de pilotage et de programmation. Dans les premiers mois d’exercice de nos fonctions de dirigeants de la SAEML, nous nous sommes effectivement imprégnés des obligations contractuelles et appliqués à remplir l’objectif essentiel de notre mission : rendre un service public de qualité.
Compte tenu de la situation que nous avons trouvée au départ, les changements que nous avons impulsés, sous le contrôle poussé du STRMTG et de la DREAL les deux premières années, sont notables pour ce qui est des fréquences, des capacités, de la régularité et de la sécurité.
Les COPIL fréquents, sous l’autorité du préfet, tendent à le confirmer mais aussi les deux audits ASNO consécutifs commandés pour vérifier dans un temps resserré les progrès et les faiblesses de notre action.
Cette évolution, nous avons tenu à ce qu’elle soit retracée à travers un rapport annuel du délégataire, très exhaustif, inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée de Corse et présenté en séance publique par le président des CFC. Ce choix, dépassant l’obligation réglementaire, était unique et novateur pour une structure satellite de la Collectivité territoriale de Corse (CTC).
En sachant que nous devions tout à la fois nous familiariser avec l’outil SAEML, répondre aux obligations contractuelles établies par l’autorité délégante et respecter les règles de bonne gestion, la plus grande transparence sera effective.
Première étape, il fallait faire rouler les AMG et disposer de toutes les rames.
Sous le contrôle du CA, nous nous sommes investis avec détermination dans cette tache dés ma prise de fonction, ensuite avec l’appui du Directeur délégué à l’exploitation au mois de février puis, à partir du mois d’avril 2012, avec le Directeur général (DG) dont le recrutement a été repoussé à deux reprises, l’unanimité requise du CA n’ayant pu être obtenue.
Dés lors il aura fallu moins d’un an pour rapatrier les rames restées en usine, en raison de contentieux, et réduire considérablement le recours aux services routiers de substitution représentant en 2011 la moitié des kilomètres produits ce qui en termes de coûts n’était pas neutre. Le 12ème AMG entrera en service commercial le 15 mai 2013 selon un dispositif de procédures exigeantes de déverminage et de fiabilisation de l’ensemble du parc.
En termes de pilotage de la SAEML, nous avons fixé un rendez-vous hebdomadaire des chefs de services pour gagner en efficacité, mis en place le pôle sécurité et répondu, en priorité, aux attentes exprimées par Mr le préfet dans son courrier du 29 décembre 2011 au président du Conseil exécutif de la CTC.
Un an plus tard, le 21 décembre 2012, dans un second courrier, Mr le préfet a souligné les avancées réalisées.
Il insistera sur deux points pour lesquels il souhaitait que nous apportions des mesures correctives immédiates. Ce fut fait dans les deux cas, pour améliorer la commande de la traction et la maintenance du matériel roulant notamment par l’implication directe du DG ensuite par la mise en œuvre de dispositions stratégiques sur le long terme.
Le responsable du pôle sécurité, référent direct des services de l’Etat et interface avec le DG, a été nommé en juin 2012. Il s’est employé, sans relâche, à faire progresser le niveau de sécurité, à rédiger les documents référentiels et les plans d’action. Il a pu dans ce cadre s’appuyer sur la convention d’assistance avec la SNCF et tirer tous les enseignements des audits ASNO dont il fut l’un des principaux demandeurs.
Voila comment, sur la base des contrats établis respectivement avec SNCF-Participation pour le Directeur d’exploitation, par la commission de recrutement pour le DG, les deux principaux dirigeants de la SAEML ont développé leurs activités sous le contrôle du CA auquel des comptes rendus réguliers et précis ont été faits. Les procès verbaux (PV) en attestent.
Cette démarche permettait d’évaluer leur action dans les domaines de la gestion, de l’exploitation, de la sécurité et du dialogue social. Sur ce dernier point le principe des réunions mensuelles, hors négociation annuelle obligatoire (NAO), avec les partenaires sociaux a été respecté même si certaines réunions ont pu être décalées toujours d’un commun accord.
Nous savions que l’organisation était perfectible nous l’avons améliorée mais effectivement nous n’avons jamais prétendu être arrivés au bout de nos efforts. Cependant l’offre de service et la fiabilité acquise, conformément à notre stratégie, ont montré cette amélioration. La fréquentation en progression constante en est un indicateur significatif. Il est conforté par la régularité et la qualité de service produites. Deux chiffres permettent d’apprécier cette progression dès 2014 : le nombre en trains kilomètres 1 million et le nombre de passagers transportés 1 million.
L’organisation statutaire et le pacte d’actionnaires ont été définis dans le prolongement de la délibération de l’AC, il n’est pas étrange que la CTC, principal actionnaire et contributeur avec la compensation financière versée à la SAEML, concentre des responsabilités inhérentes. Je pense toutefois que le bon équilibre a été trouvé entre les différents acteurs : Services de l’Etat, Service ferroviaire de la CTC, SNCF avec la convention d’assistance, direction de la SAEML. La dynamique constatée, sans doute, en est le produit.
Après la fusion des Conseils départementaux et la création de la Collectivité de Corse, ce bon équilibre doit être préservé avec le maintien de la SNCF dans le capital au titre de l’actionnariat privé et l’entrée d’autres collectivités en remplacement.
Le taux de présence moyen au CA a été de 65 % pour une fréquence de réunion trimestrielle.
C’est plutôt positif sachant l’importante sollicitation des élus en général. Nous l’avons rarement dépaysé et nous n’avons pas envisagé de surcharger les administrateurs de mandats spéciaux, ni créer une instance de pilotage qui auraient pu générer des confusions dans une phase où nous devions nous-mêmes consolider notre expérience.
Nous avons eu le parti pris de privilégier les compétences internes et de promouvoir de jeunes cadres issus de l’entreprise. Appelés à participer au CA, ils y ont présenté les applications mises en œuvre sous leur responsabilité dans chaque service. Ce faisant, nous avons écarté le principe de recrutement, surement plus couteux et pas forcément plus efficient, de 5 directeurs délégués.
L’absence de double signature sur les PV du CA a attiré l’attention du magistrat, mais tous les PV ont été approuvés par le CA en ouverture de la séance suivante, sans que cela ne soit à l’évidence préjudiciable à leur exhaustivité et à la marche de la SAEML.
Les rapports de gestion ne mentionnent pas les éléments de rémunération des mandataires sociaux. Celle du président est établie sur délibération de l’AC. Elle est identique à celle versée à un Conseiller exécutif de la CTC. Celle du DG a été définie par la commission de recrutement (composée de 3 administrateurs mais pas du président) selon les conditions connues à ce niveau de responsabilités dans d’autres établissements ou « satellites de la CTC ». Le CA a eu régulièrement connaissance de ces éléments quasiment invariables dans le temps comme de ceux concernant les cadres. Quant à créer un comité de rémunération et de définition des avancements l’accord d’entreprise ne le permettait pas.
S’agissant des gratifications exceptionnelles, elles sont par définition inhabituelles et peuvent faire suite à une situation donnée, spécifique, que le DG apprécie en fonction des principes de bonne gestion. Quant au risque de conflit d’intérêt pointé il ne semble pas significatif sinon inexistant au CA de la SAEML.
Sur la passation des marchés, la commission d’appels d’offres a été mise en place en décembre 2012.
Le rapport y insiste mais il faut souligner que la première année aucun marché supérieur à 100 000 n’a été lancé. Il y en aura 21 entre 2013 et 2015. Il est fait état de recours systématique à certains fournisseurs cela n’a rien de surprenant quand il s’agit de domaines particuliers liés par exemple au renouvellement de la voie ou au changement d’essieux sur les autorails.
Par ailleurs la mise en concurrence, après conclusion des marchés antérieurs à la création de la SA-EML, a permis sur des contrats non négligeables comme le renouvellement du contrat d’assurance ou de la flotte de véhicules de services de diminuer de manière signifiative ces postes comme ce fut le cas pour la Convention d’assistance de la SNCF.
Celle-ci découlait d’une double exigence formulée par l’Etat et l’actionnaire SNCF nous faisant obligation faute de quoi l’exploitation ferroviaire de service public aurait été interrompue en l’absence d’un expert ferroviaire de haut niveau dans l’entreprise.
Dans ces conditions la première convention avait fait l’objet d’une négociation préalable entre l’Exécutif de la CTC et la SNCF qui n’aboutira que fin janvier 2012 en raison d’un désaccord sur le niveau de facturation des interventions d’experts. La signature de cette convention permettra au directeur d’exploitation de prendre ses fonctions dès le 1er février.
En ce qui concerne les trois avenants votés par l’AC afin de réajuster le cadre contractuel, ils n’avaient pas pour ambition d’augmenter « le risque » supporté par la SAEML mais, dans l’intérêt général bien compris, d’apporter des améliorations au regard de l’expérience acquise, d’éliminer les lacunes constatées et de réduire le montant de la compensation financière.
Ces modifications de la convention, associées aux outils de gestion mis en place et à la maitrise financière, ont permis de restituer 11 M€ à la CTC sur les 4 années de gestion contrôlées pour un atterrissage en 2021 conforme aux prévisions et une compensation annuelle ramenée en moyenne à 21,2 M€ au lieu de 23,3 M€ initialement inscrits au prévisionnel de la convention. Cela s’est fait pratiquement à effectif constant entre 2012 et 2015 et après le remboursement anticipé d’une année de l’avance en capital.
La gestion des stocks de pièces détachées était insuffisante, c’est incontestable.
Nous avions bien identifié cette lacune. Des investissements conséquents ont été réalisés pour disposer d’un magasin conforme aux besoins importants et permettant d’envisager une gestion informatisée des pièces détachées, des fournitures de maintenance comme la traçabilité des outillages.
La relance de l’activité ferroviaire pour offrir un véritable service public ne pouvait avoir lieu sans conduire à son terme la négociation pour « le statut des agents ». Cette négociation, initiée avant la création de la SAEML avec les partenaires sociaux sous l’autorité du président de l’Office des transports de la Corse (OTC) s’est poursuivie au-delà du 1er janvier 2012, dans ce même cadre, toujours à la demande des partenaires sociaux. Ce n’est qu’après un conflit de 17 jours en 2013 que la négociation du titre 7, celui de la rémunération, a été reprise en interne avant d’aboutir à un accord.
Il y avait donc des antécédents ceux de la SNCF et ceux de la négociation avec le président de l’OTC. Nous ne pouvions en faire abstraction. Nous avons même constaté un non respect des règles déontologiques de la part de l’expert missionné par le Comité d’entreprise (CE) alors qu’il était également intervenant pour le cabinet mandaté par l’Exécutif de la CTC. Nous nous sommes donc attachés à clarifier et simplifier un ensemble assez complexe bâti sur un empilement d’accords successifs concernant parfois des agents seuls ou des spécificités de services.
De même il faut tenir compte de la NAO notamment de celle qui a abouti sur un accord dit « Mutuelle » portant sur la Prévoyance Santé mise en place au 1er avril 2014, suivi d’un avenant élargissant la prise en charge des ayants droits au 1er janvier 2015.
Avec un conseil extérieur, nous avons mis au point un outil informatique pour anticiper les effets de chacune de nos décisions et éviter tout dérapage.
Et effectivement nous avons préféré une harmonisation par le haut, plutôt que le contraire, à l’avantage de tous les agents dont l’effectif, j’insiste sur ce point, est resté stable sur la période d’examen de la CRC. Partant de là, nous avons pu maitriser l’évolution de la masse salariale (76 % de la compensation versée par la CTC) et afficher une perspective d’atterrissage en 2021 offrant toutes les garanties pour la poursuite de l’exploitation avec une estimation documentée des moyens financiers nécessaires.
L’autorité délégante, en faisant le choix de créer la SAEML, s’est d’autant moins trompée que la compensation financière, demandée par l’exploitant précédent pour continuer, approchait les 50 M€ annuels contre 21,2 M€ aujourd’hui et que de ce fait elle a pu concrétiser sa volonté en faveur du désenclavement du territoire, de la dé-saturation du réseau routier, de la sécurisation des déplacements notamment des étudiants avec la création d’un dispositif de gratuité, de la diminution des impacts environnementaux.
Cette approche, plus sociale et environnementale que libérale, était étroitement corrélée aux investissements réalisés ou à réaliser pour franchir un nouveau cap tel qu’envisagé dans le PADDUC faisant des CFC une pierre angulaire de l’aménagement du territoire conformément aux préconisations relatives à la transition énergétique. C’est dans cet esprit que nous avons fait inscrire au schéma des investissements ferroviaires la réalisation de la gestion informatisée des circulations (CCVU), le lancement des études pour l’extension de ligne en plaine orientale et l’acquisition de 8 nouvelles rames mieux adaptées aux courts trajets interurbains et permettant de réduire les nuisances sonores et les émissions de GES.
Voila comment, nous avons élaboré et déployé un véritable projet d’entreprise autour des enjeux de gestion, d’exploitation et de maintenance, du rayonnement social interne et externe avec les usagers et enfin de l’activité industrielle et commerciale. Avec ces retombées économiques et sociales importantes, la SAEML et les CFC se sont, ainsi, hissés au rang d’une grande entreprise de service public à l’échelle de la Corse.
Michel Stefani
STRMTG : Service technique des remontées mécaniques et des transports guidés
DREAL : Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement
COPIL : Comité de pilotage
ASNO : Audit de sécurité national opérationnel
PADDUC : Plan d'aménagement et de développement durable de la Corse
CCVU : Commande centrale voie unique
GES : gaz à effet de serre