En empruntant l’avenue Pascal Lota.
Un monument dédié à Pascal Lota vient d’être dévoilé sur l’une des principales artères de la ville de Bastia longeant le port de commerce, poumon économique de la Corse, lequel accueillait le navire éponyme et amiral de la compagnie en visite inaugurale le même jour.
Les éloges n’ont pas fait défaut. Cependant, sans porter de jugement sur la personne, qu’il soit encore permis d’émettre quelques remarques sur les principes économiques et politiques qui ont fait de Corsica Ferries-France (CFF) le premier opérateur maritime sur la Corse.
Il fut un temps ou, le « monopole de la SNCM » et le pavillon national premier registre étaient honnis. Nous sommes désormais submergés de propos élogieux sur cette première place obtenue au bénéfice d’une logique libérale exacerbée contre le service public, l’être humain et l’environnement.
Derrière la face cachée de la médaille, effectivement, il y a la concurrence déloyale, l’acharnement procédurier contre le service public, les avantages procurés par un soutien public déguisé (aide sociale, détaxe liée au pavillon de complaisance, gestion sophistiquée de l’armement, main d’œuvre détachée…) le tout sous couvert d’une holding installée en Suisse.
On sait qu’il y a eu des négligences concernant la sécurité, les normes environnementales ou encore le recouvrement de la Taxe de transport due à la CTC. Le dumping social, commercial et fiscal est ainsi la caractéristique du modèle économique dominateur et destructeur appelé low cost.
La disparition de centaines d’emplois à statut, en Corse comme sur le continent avec la liquidation de la SNCM, ne sera jamais compensée dans ce cadre et comme tout est lié la confrontation interne du patronat local se traduit par une consolidation du périmètre d’activité de chacun. Money is money !
L’oligopole de la distribution (1 milliard d’euros de chiffre d’affaire en Corse) récupère 300 M€ d’actifs de la SNCM constitués essentiellement par l’apport d’argent public de l’enveloppe de continuité territoriale depuis 1976. La CTC permettra bientôt de finaliser cette opération plus qu’avantageuse pour les heureux repreneurs en leur rachetant deux navires au prix du marché.
CMN et Corsica Linéa devraient pouvoir rester sur la desserte de la Corse essentiellement pour le fret. Elles devront candidater à l’appel d’offres distinguant les services des ports principaux, les plus rentables, des ports secondaires qui ne le sont pas. Quant au transport de passagers dans ce schéma ultralibéral il est, sans appel d’offres, sanctuarisé en quasi-totalité pour CFF qui pourra, en période creuse, continuer l’écrémage des services de marchandises.
Cerise sur le gâteau le navire amiral de CFF (100M€) pourrait être payé à 85 % par la CTC puisque une récente décision du Tribunal administratif de Bastia condamne la CTC à verser une amende de 84 M€ à CFF en réparation d’un préjudice estimé par les seuls actionnaires de la compagnie lesquels se sont empressés d’affirmer qu’ils ne renonceraient pas à son recouvrement.
Sans revenir ici sur la magnanime bonté de la Commission européenne et ses revirements réglementaires justifiant cette ponction extravagante, il nous sera donc impossible de sombrer dans l’amnésie collective. Avec tout le respect dû au créateur et à son œuvre, cette étrave symboliquement surmontée de la tête de maure, désormais présente dans notre quotidien, ne nous fera pas croire qu’ici, parce que nous sommes en Corse, capitalisme et générosité font la paire.
Nous le devons aux générations de travailleurs qui ont usé leur santé sur le port de Bastia, ont toujours lutté et revendiqué pour préserver leur dignité. Ce combat est en définitive le seul qui permet d’arracher au patronat les conditions du progrès social et de l’émancipation de toute la société. Il est plus que jamais d’actualité face à la « lowcostisation ». Nous y penserons en empruntant l’avenue Pascal Lota.
Michel Stefani