Zone Franche : les plus modestes sont toujours pénalisés
Intervention faite à l'Assemblée de Corse le 30 09 2016
« La zone franche de Corse est un précédent qui a prouvé l’efficacité de certaines mesures temporelles en matière fiscale et sociale, pour créer et développer des activités économiques pérennes ». Pour ce qui nous concerne nous avons une appréciation inverse à celle-ci qui structure en préambule votre approche dans ce rapport.
La Zone Franche de 1995 si elle a permis de conforter les trésoreries des entreprises n’a pas, comme tous ces dispositifs de défiscalisation et d’exonération de charges patronales sur les salaires, produit les résultats annoncés pour la création d’emplois et encore moins pour le pouvoir d’achat, la revalorisation des salaires.
En revanche nous avons pu constater que les inégalités se sont creusées comme jamais précédemment pour atteindre un écart significatif. En 2011, les 10 % de ménages les plus aisés ont eu des revenus 6,6 fois supérieurs aux 10 % de ménages les plus modestes.
L’année précédente 1600 ménages ont déclaré en moyenne un revenu annuel de 180 000 euros. En Corse, avec des ressources inférieures à 970 € par mois, un habitant sur cinq est pauvre contre un sur sept en moyenne pour le reste de la France métropolitaine.
83 communes ne seraient pas concernées par ce dispositif. 277 le seraient ce qui peu ou prou constitue 80 % du territoire. Bien sur en soulignant cet aspect il ne nous vient pas à l’idée de contester les difficultés évidentes qui affectent ces communes et plus largement ces territoires.
La traduction réelle se mesure aux quelques chiffres témoignant de la fracture sociale mais l’analyse de cette réalité serait imparfaite si dans la réflexion n’apparaissaient pas les raisons de la fracture territoriale.
Dans ces zones rurales la politique libérale de déménagement du territoire est la cause essentielle de la dévitalisation. Les services à la population réputés non rentables ont été de plus en plus réduits pour disparaître totalement dans de nombreux cas.
Dans le contexte actuel de baisse des dotations aux collectivités, de simplification administrative, sans en venir à la collectivité unique, la politique d’austérité, vous y faites allusion mais pas en ces termes, impacte l’emploi public aussi surement que la RGPP puis la MAP ont établi la règle du départ non remplacé une fois sur deux dans la fonction publique.
Voila pourquoi, il n’est plus temps de penser la « discrimination positive » mais de travailler à la juste répartition des richesses pour une dépense publique utile et sociale, pour une justice fiscale. Si la défiscalisation allait dans ce sens depuis longtemps nous aurions pu le voir.
Quant à l’exonération de charges, autrement dit du salaire différé, elle participe de la mise en cause du financement de la protection sociale et nourrit par ailleurs les fameux déficits qui justifient ensuite toutes les attaques contre les régimes de retraite, les allocations d’aide sociale, la prise en charge de la santé et des soins.
Ce n’est pas la démographie qui est la cause de la désertification du rural mais l’accumulation de choix politiques et économiques qui font que la population se concentre plus facilement en zone urbaine que le contraire à plus forte raison quand la cherté de la vie et les bas salaires pèsent sur le pouvoir d’achat des ménages.
Le budget voiture, essentiellement en raison du prix du carburant anormalement élevé, près de 1000 € par ménages en moyenne accentue les contraintes sans parler du réseau routier et du relief marqué qui éloignent les habitants ruraux d’un ensemble de services et de prestations sans lesquels la vie quotidienne est plus difficile.
La première mesure fiscale consisterait à ce qu’il soit mis fin au détournement des réfactions de TVA pour rendre du pouvoir d’achat aux ménages sur tout ce qui est biens de consommation courante.
Sachant que cet impôt est le plus injuste qui soit nous ne pouvons nous réjouir de l’annonce faite par le premier Ministre tendant à transférer une partie du produit aux Régions déjà affectées par la politique d’austérité.
Dans ce contexte ou la solidarité nationale et la péréquation fiscale est en cause le choix de cette façon qui leur est proposé c’est d’augmenter la pression fiscale pour répondre aux besoins sociaux ou inversement de ne pas satisfaire ces besoins.
La seconde mesure consisterait à évaluer la pertinence des dispositifs CICE et CI-Corse qui courent jusqu’en 2020, applicables sur l’ensemble du territoire, et qui le resteront après la création de cette zone franche. Chaque année ce sont à peu près 80 M€ versés aux entreprises.
Pour la bonne compréhension des choses il faudrait connaître le cout global estimé de cette zone franche. Tel que cela ressort dans le rapport l’effet d’aubaine se produira puisque, je cite : « tous les contribuables qui exercent ou qui créent des activités industrielles, commerciales, artisanales, libérales et agricoles, en zone de montagne devraient être exonérés d'impôt sur le revenu ou d'impôt sur les sociétés à raison des bénéfices réalisés sur la zone ».
Un régime particulier s’appliquerait aux réductions de cotisations patronales sur tous les salaires bruts sauf pour les dirigeants (difficile de dire qui est concerné) pour un montant équivalent à 15 % et plafonné à 800€. Pour un millier de salaires le montant annuel serait de 800 000€.
Sont envisagés aussi les abattements sur les bases des taxes du foncier bâti en attendant ce dont on peut douter que la perte pour les collectivités locales soit compensée par l’Etat.
Dans ces conditions il est permis de penser qu’avec cette zone franche le volume d’aides aux entreprises approchera les 100 M€ annuel les trois prochaines années. Nous pensons vraiment que cet argent public, pour ne pas dire cette perfusion permanente, pourrait valablement servir une Fonds régional unique pour l’emploi la formation et les salaires géré démocratiquement avec la participation des salariés.
Enfin la prise en compte de la Corse dans la cadre de la loi Montagne la rend éligible, malgré la réduction de l’enveloppe du FNADT, à de nouveaux financements notamment FEDER dont l’objet est précisément de lutter contre les inégalités territoriales.
Pour ces raisons comme nous l’avions fait s’agissant de la délibération de 2014 sur le projet de réforme fiscale nous voterons contre votre proposition.
Michel Stefani