Desserte maritime : une certaine continuité libérale
Le président de l'Office des transports de la Corse a présenté le 13 juillet en session plénière de l'Assemblée de Corse le rapport précisant les modalités d'organisation de la desserte maritime.
Intervention du Groupe communiste et citoyen du FDG Michel Stefani
L’objet principal de ce rapport est, en fonction de ce que nous pouvons lire, d’arracher la CTC, autorité compétente pour organiser la desserte publique de continuité territoriale, des errements d’un modèle fait d’opacité, de mauvaise gestion et d’impasse juridique à répétitions pour en arriver enfin à un modèle vertueux, économe, responsable aux plans social et environnemental, et juridiquement inattaquable.
Cela étant la situation connue aujourd’hui ne peut être imputable, comme vous le dites, à une défaillance de la continuité territoriale et à travers ce raisonnement faire abstraction d’une donnée essentielle : la concurrence déloyale low cost de Corsica Ferries (CFF), fortement encouragée depuis la fin de la convention de 25 ans. C’est en fonction de ce choix politique, que les pans du service public de continuité territoriale les plus profitables lui ont été offerts. A tel point que cette année CFF trustera près de 85% du service à passagers saisonnier.
A cela il convient d’ajouter plus de 25% du fret écrémé dans les mêmes conditions. En effet l’absence de mécanismes de régulation, interdisant le dumping et les surcapacités, déstabilise les opérateurs attributaires de la DSP au détriment de la stabilité financière, de la bonne gestion du denier public, des tarifs, et du service rendu aux usagers.
Cette logique libérale dévastatrice a donc été déclinée depuis 2002 avec des variantes selon les exigences du seul opérateur CFF, au fur et à mesure des recours qu’il engageait précisément pour obtenir sur la desserte de la Corse la déréglementation nécessaire à ses ambitions de position dominante et de monopole, visibles de tous aujourd’hui.
Le port de Toulon, défini comme tête de pont hors DSP couplé à l’aide sociale, cette subvention déguisée et illégale, seront les principaux instruments de ce dispositif de concurrence déloyale. Unique en France, il sera extrêmement coûteux mais jamais sanctionné malgré les rapports de la CRC. La CTC, autorité délégante, en arrivera à financer d’un côté une DSP et de l’autre à travers l’aide social les surcapacités, la vente à perte, et le dumping social.
C’est bien de cette façon que l’économie et l’emploi durables, le SP, ont été constamment attaqués et sommés de s’adapter aux dogmes libéraux dictés par des intérêts particuliers. Après la privatisation scandaleuse de 2005, viendra en 2007, dans le prolongement des contentieux ouverts par les dirigeants de CFF, peu reconnaissants il est vrai, le temps du service complémentaire distinct du service dit de base puis le déficit structurel de l’OTC en 2008 et les premières mesures d’ajustement du périmètre du SP.
Plus récemment ce sera le redressement judiciaire, tout aussi scandaleux, poussant la SNCM dans un couloir de la mort alors qu’elle disposée d’une trésorerie de 40 M€ en 2014 et de 60M€ en 2015. Tout cela s’est fait autour de trois axes majeurs, moins d’emplois, moins de SP, pas de politique industrielle dans le but de dégager des excédents sur la dotation de continuité territoriale.
Notre groupe aura été le seul à voter contre ces choix et nous avions annoncé, au regard de l’expérience, ce qui allait se passer, à défaut d’une politique centrée sur le service public et l’intérêt général. De la même façon, nous avons été les seuls a voté contre la DSP dite transitoire qui est la première étape du projet présenté aujourd’hui. Dans ce cadre nous constatons une certaine continuité libérale avec les précédents exécutifs.
Vous dites donc que ce projet, au bénéfice de la loi de 2014, qui laisse peu recul pour des retours d’expériences, permettra la création des Sociétés d'économie mixte à opération unique (SEMOP) pour sortir de l’insécurité juridique et donnera la visibilité nécessaire aux opérateurs privés partenaires sur une durée de 10 ans.
Ces SEMOP, adossées à la SEM d’investissement en charge du renouvellement de la flotte, bénéficient selon vous de l’approbation anticipée de la CE d’autant plus que ce changement en modifiant la nature de propriété des navires constituerait le dernier élément établissant de manière incontestable la discontinuité.
Toutefois, cette affirmation n’apparait nulle part dans les lettres de la CE et de surcroit, pour ce qui est de fiabilité juridique comme il fallait s’y attendre, nous avons appris qu’à quelques minutes de la clôture du dépôt de candidature au test marché OSP, CFF a fait une offre.
Sans avoir connaissance des éléments d’appréciation qui vous ont conduit à écarter cette réponse, on peut penser, qu’il s’agit aussi pour les dirigeants de CFF, comme ils l’ont fait par le passé avec des enveloppes vides, de préparer l’avenir à leur convenance mais toujours devant les tribunaux, voire l’UE qui n’a de cesse de vous guider sur la voie de la libéralisation définitive de la desserte y compris avec des SEMOP.
Dans ces conditions nous ne sommes pas aussi optimistes que vous sur le cheminement juridique tranquille de ce projet. Dans lequel, la volonté de scinder le service des ports principaux de celui des ports secondaires révèle une probable fragilité.
Le premier sera sans doute moins déficitaire que le second et ce qu’il serait possible de faire d’un point de vue de la mutualisation des moyens et des gains de coûts sera empêché par cette organisation cloisonnée qui facilite en revanche l’amputation.
C’est là notre opposition fondamentale à votre projet. A cela s’ajoute le principe du personnel rattaché aux navires ce qui, sous un autre angle, revient à voir des entités distinctes, chaque navire étant constitutif d’une d’entre elle, avec les conséquences sociales facilement imaginables pour les compagnies qui opèrent plusieurs activités.
Comment ne pas voir un avantage aux low cost et à CFF qui sortirait alors encore grand gagnant avec une organisation interne protéiforme et des règles de pavillon différentes de celles du pavillon français premier registre sur lesquelles prospère le dumping social.
Vous affirmez que de cette façon vous offrez une garantie sociale supérieure à la DSP et à l’ORP telle que stipulée à l’art L 1224-1 du code du travail que notre groupe a pris soin de faire figurer comme tel dans chaque règlement de consultation en 2002 2007 et 2014 pour éviter les fameux silences de convention. Nous ne le pensons pas.
C’est notre seconde opposition. Nous y voyons le risque de démantèlement de MCM dans le prolongement de votre refus de prendre en compte la décision du TC de Marseille du 20 novembre 2015 et le plan industriel fondé sur l’unicité de la compagnie et la préservation de 903 emplois.
A cet instant nous craignons pour ces emplois mais aussi pour les 433 de la CMN. Car la question posée, sans l’hypocrisie d’une réglementation qui commande de faire abstraction de l’existence des opérateurs historiques, c’est bien, dans le schéma proposé : quel sera leur avenir et celui de leurs emplois ceux aussi de toute la filière industrielle importante en Corse avec le port de Marseille ?
Vous dites que « le temps des DSP taillées sur mesure pour les sortants est fini que l’Europe n’en veut plus et vous non plus pour cesser le clientélisme ». Je ne vois pas comment vous allez faire abstraction dans la prochaine procédure de l’existence des délégataires sortants puisque derrière le terme clientélisme c’est bien eux qui sont dans le collimateur en omettant d’être aussi pointilleux avec CFF.
Sur les biens de retour la valeur d’entrée au bilan de MCM de la flotte à 40 M€ que vous avez obtenue dans le cadre d’une subdélégation temporaire, ne saurait tout régler pour un nouvel appel d’offres. Vous précisez que 25 M€ seront provisionnés sur cette même somme pour la maintenance courante, le gros entretien et la mise aux normes MARPOL.
Le montant résiduel de 15 M€ serait par conséquent celui de la négociation avec les dirigeants de MCM pour pouvoir disposer à tout le moins d’un voir de deux navires au démarrage de la SEM d’investissement au 1er octobre.
Naturellement on peut, et nous en sommes, dénoncer la braderie opérée par le gouvernement sur les actifs de la SNCM constitués grâce à l’argent public de la solidarité nationale mais à présent il n’est surement pas gagné que les actuels propriétaires de la flotte partagent cette analyse. Ceux de la CMN l’ont semble-t-il récusée pour la leur.
Dans tous les cas on peut imaginer que la valeur marché soit supérieure à celle d’entrée au bilan. Mais la lecture entre les lignes nous laisse comprendre que le ticket d’entrer aux SEMOP passe par une attitude compréhensive de cet enjeu. Quoiqu’il en soit les premiers excédents de l’enveloppe n’y suffiront pas.
Ici on touche à la structure financière du projet et aux options multiples avancées. Vous partez d’un chiffre 1,3 milliard qui aurait servi au renouvellement de la flotte de la seule SNCM en 30 ans. 43 M€ par an en moyenne annuelle mais on peut penser que dans les années 90 la commande du Casanova puis du Monte d’Oro et du Paglia Orba suivie des 3 NGV et du Bonaparte voulus par la CTC ont un peu pesé sur les chiffres comme la commande du Paoli et du second Casanova en 2000 et enfin le dernier venu le Jean Nicoli.
Je constate également que la même interrogation n’a pas lieu s’agissant des navires de la CMN et pourquoi pas du dernier, le Piana, mis en service en 2011 en vue du renouvellement de la DSP en 2014 et construit en Croatie pour 140 M€.
Cette réflexion est importante parce qu’effectivement les navires qui desservent la Corse sont polluants certains en limite d’âge et les normes MARPOL imposent des investissements, réalisables sur quelques navires mais impossibles sur d’autres s’agissant des scrubbers.
La préférence pour des navires moins polluants, plus performants aux plans économique et environnemental doit prévaloir. Vous affirmez pouvoir en 10 ans commander 3 navires Gaz ou Hybride ou encore à Hydrogène pour un prix de construction à l’unité de 80 à 85 M€. Il s’agit sans doute de navires de faibles capacités passagers ce qui ne manquera pas de stimuler la concurrence de CFF.
Partant de la, votre maquette financière repose sur les 27 M€, normalement dévolus dans la DSP à la maintenance et au renouvellement des navires, les gains sur le combustible, les gains sur la maintenance, une partie de la PPE, les excédents attendus-le gouvernement a promis de ne pas y toucher-et enfin un crédit bail avec la CADEC.
A ce schéma vous ajoutez une baisse plus importante des tarifs, ce à quoi nous sommes très favorables. Mais au final comme c’est à peu prés toujours la même enveloppe et que toutes les lignes autour seront libéralisées : l’écrémage sera renforcé contrairement à la délibération sur les OSP de décembre 2013, le dumping tarifaire et les surcapacités non régulées viendront saper à la base votre maquette financière.
A moins que ce ne soit qu’une étape pour aller vers des ports principaux en OSP non subventionnés et une compagnie régionale limitée aux ports secondaires qui pourraient entrer dans une esquisse que vous avez évoquée combinant la route ou le rail entre certains ports avec comme source de financement l’enveloppe de continuité territoriale décidément débordante de ressources.
La question se pose donc de la taille de ces navires et de leurs capacités passagers et fret linéaire pour obtenir des coûts de construction aussi bas. De mémoire les chiffres, évoqués en 2014 avec le plan Cuvillier pour des navires identiques compte tenu des contraintes de la desserte et des infrastructures portuaires, s’élevés au double soit 160 M€ en propulsion Gaz.
Nous verrons quand nous connaîtrons le type de navire et le chantier qui auront votre agrément. Car la CTC sera majoritaire dans la SEM d’investissement.
L’autre aspect auquel nous sommes attentifs touche à la nature du contrat des SEMOP et l’acceptation préalable des opérateurs privés que le renouvellement de la flotte se produise par substitution des navires atteints par la limite d’âges.
Cette acceptation préalable aura une influence directe sur la gestion des personnels au regard du nombre d’emplois liés à l’exploitation des navires sortants et entrants a effectifs constants et à l’ensemble des flottes permettant d’exécuter des services en DSP comme en OSP sur la Corse, ainsi que le rayonnement en Méditerranée notamment sur les lignes d’AFN.
Le dernier point que je veux aborder est celui de la composition du capital des SEMOP. Le message qui sera délivré aura une valeur lourdement symbolique au plan politique si dans un cas c'est-à-dire la SEMOP ports principaux, en apparence la plus rentable, les partenaires privés seront majoritaires et inversement pour la SEMOP ports secondaires la CTC serait majoritaire.
En conclusion nous ne pouvons pas partager ce projet de deux SEMOP dans un environnement totalement déréglementé sur les autres lignes du service public de continuité territoriale où de surcroît la CTC à compétence pour réguler. Ce projet nous ne le voyons pas tenir ses promesses, économiquement, en lieu et place d’un système global, de DSP unique sur le même périmètre et d’OSP renforcées sur toutes les autres lignes.
Ce schéma d’organisation reste sur une durée équivalente de 10 ans celui qui permet à la CTC de jouer pleinement son rôle d’Autorité organisatrice à la fois pour imposer le renouvellement des navires aux compagnies attributaires du contrat, et garantir l’exécution d’un service public de continuité territoriale respectueux des critères sociaux et environnementaux constitutifs d’un réel développement durable sur le continent en Corse.