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Michel Stefani

Desserte maritime : le "partage du gâteau" par les low cost serait catastrophique pour la Corse

26 Février 2016

Intervention générale et explication de vote de Michel Stefani lors du débat à l'Assemblée de Corse le jeudi 25 février 2016 consacré à la desserte maritime de la Corse

Nous examinons ce rapport alors que ces dernières semaines nous avons assisté à des évolutions surprenantes concernant l’avenir de la nouvelle SNCM sur fond de polémiques politico affairistes et de pratiques douteuses pour ne pas dire mafieuses. En même temps nous relevons que les principaux objectifs de ce rapport consistent, outre la création de la compagnie régionale, à restreindre le périmètre de la délégation de service public (DSP) à la seule desserte des ports secondaires en passant les ports principaux en obligation de service public généralisées (OSPG). C’est ce que les dirigeants de Corsica ferries France (CFF) préconisent depuis longtemps.

La consultation publique nous apprend également que cette vision de la desserte est partagée par les dirigeants du consortium des principaux chargeurs de corse conduit par François Padrona alors que celui-ci défendait devant le Tribunal de commerce (TC) de Marseille la position contraire dans le cadre de l’offre de reprise qu’il présentait.

Pour la maîtrise des transports hors des lobbys on repassera je pense en particuliers à celui des low cost. La compagnie régionale poussée à marche forcée dans ce cadre devrait se résumer à fournir à cette somme d’intérêts particuliers, les plus puissants de la Corse, les navires qu’ils n’ont pas les moyens de s’offrir, ni même d’entretenir, pour faire fructifier leurs affaires, tout en faisant supporter cette charge à la Collectivité. Après quoi, ils se chargeront des travailleurs qui devront naviguer sous un nouveau pavillon national qui ne sera sans doute plus le pavillon français 1er registre, seul garant des droits sociaux des marins en Corse comme sur le continent.

Ainsi vous ne nous ferez pas croire qu’avec ces messieurs les navires seront restitués à la Corse qu’ils n’ont d’ailleurs jamais quitté. Les navires de la SNCM et en partie de la CMN, ont tous été payés par l’État avec l’argent public de la solidarité nationale afin d’assurer la continuité territoriale. Et nous verrons bien ce qu’il en sera du Danielle CASANOVA, symbole de la Résistance corse au fascisme, dans le cadre du rapprochement déjà opéré avec l’homme d’affaire Daniel BERRIBI.

Dossier à rebondissements s’il en est nous apprenons ce matin que Corsica Linéa a d’ores et déjà capté plus de 15 % du marché du fret au détriment des délégataires. Les dirigeants de cette compagnie ont promis le pavillon français 1er registre et 100 % de marins corses, en réalité c’est un pavillon danois, puis portugais et des effectifs multinationaux aux droits sociaux calés sur les standards internationaux les plus bas. Et à les écouter nous voyagerons bientôt heureux et nous connaitrons enfin le recul de la cherté de la vie en Corse qu’ils entretiennent depuis des décennies.

Selon vos propos, Mr le président de l’Office des transports de Corse (OTC), il faut « optimiser l’enveloppe de continuité territoriale ». J’ai bien peur que de la sorte il s’agisse de fausses bonnes économies et qu’au final on détruise non seulement l’économie et l’emploi en Corse mais que cela coute plus cher aux contribuables.

Malgré l’opacité qui entoure les dernières tractations patronales, que vous avez appelées de vos vœux, le constat demeure : la mise en redressement judiciaire de la SNCM, pilotée par le premier Ministre à la demande de Veolia Trandev, visait non pas à pérenniser la compagnie nationale, comme Monsieur Valls s’est plu à le répéter, mais à la dépecer pour offrir aux opérateurs low cost toujours plus de parts de marché sur les lignes les plus rentables entre Marseille, Bastia et Ajaccio.

Pour le gouvernement brader « le fleuron de la marine marchande française », j’emprunte ici la formule au ministre des transports Frédéric Cuvillier, a eu le sinistre avantage d’accentuer le désengagement de l’Etat d’une responsabilité qui lui incombe à l’égard de la Corse au titre de la continuité territoriale et de la solidarité nationale. Peu importe si pour ce faire il laissait toute la latitude à des candidats dont les offres de reprise étaient jugées « médiocres » et « insuffisantes en fonds propres » par le procureur de la République.

Après quoi, comment ne pas être interpellé quand la justice fait diligence à la demande du patronat corse qui traite les travailleurs et la CGT de voyous, alors que ceux-ci à juste raison se sont opposés à l’accostage à Marseille du Stena carrier et qu’à présent, saisi d’une plainte en référé par le CE, tendant à obtenir le respect de la clause de non concurrence, le tribunal en renvoie l’examen après la session de l’Assemblée de Corse. Où est l’Etat de droit quand se dessine ainsi à grande échelle une complicité digne d’une République bananière ou s’entremêlent justice, politique et affairisme.

Nous trouvons aussi dans ce rapport confirmation de ce pourquoi la consultation publique a été lancée en octobre 2015 en lieu et place de la procédure d’appel d’offres visant à renouveler la DSP en octobre 2016. Cette consultation s’est conclue le 15 décembre avant que le consortium des patrons corses ne se lance dans une opération hostile et illégale contre la nouvelle SNCM et le projet industriel arraché par les marins et leurs organisations syndicales en lutte durant tout ce temps.

Ce projet validé avec le repreneur et les administrateurs judiciaires vise à maintenir une flotte adéquat pour desservir les six ports de Corse depuis Marseille avec la CMN, et ouvre la possibilité d’un rayonnement en méditerranée notamment à travers les liaisons avec le Maghreb qui génèrent aussi de l’emploi en Corse.

Le potentiel du Maghreb est important comme l’a exposé la CGT en combinaison avec le Port de Marseille et le terminal de Mourepiane qui doit être connecté d’ici la fin de l’année à la plus grande autoroute ferroviaire débouchant sur le bassin industriel le plus grand d’Europe du Nord à destination de plusieurs dizaine de Millions d’européens.

Cela nous semble aussi une formidable opportunité pour l’exportation de la production insulaire et le développement d’un tissu industriel local innovant et adapté à notre environnement qui viendrait compléter et renforcer les secteurs de production locaux et le tourisme. Elle prendrait à contre pied tous ceux qui font de la Corse une mauvaise caricature et mettrait au cœur de l’action politique de la Collectivité territoriale de Corse (CTC) l’intérêt général et la coopération avec d’autres territoires, sans exclusion.

« Nous sommes un Conseil exécutif légitimement élu, nous avons un projet clair et nous n’accepterons pas des diktats, économiques et sociaux, de qui que ce soit ! » avez-vous dit dans une interview à Corse net info le 7 janvier 2016. Soit, mais ce qui ressort à présent c’est que les diktats de Bruxelles vous conviennent en tout point. Cette consultation publique est comme vous l’indiquez une exigence de la Commission européenne pas une obligation.

Son registre c’est la libre concurrence sauvage et la liquidation de ce qui reste des 900 emplois préservés à la SNCM, et il faudra bien savoir ce qu’il adviendra de la CMN dans le schéma que vous nous proposez excluant les ports principaux de la DSP. Dés lors vouloir créer « un espace social de dialogue » pour amortir les effets de cette orientation néfaste reviendrait en fait à l’accepter ce que nous ne ferons pas.

D’ailleurs dans cette même interview vous avez pris les devants en expliquant : « Il faut, bien sûr, régler la question sociale, mais c’est, aussi, à la région PACA de s’intéresser aux ressortissants de son territoire ! ». Comme si les corses pouvaient échapper aux licenciements et aux critères légaux qui s’imposent à tous en pareil cas et quel que soit le lieu de résidence de chaque travailleur.

Hier dans Corse Matin vous disiez vouloir agir pour empêcher la liquidation de la SNCM. Si tel était le cas il eut été plus efficace de rappeler Corsica linéa au respect de cette fameuse clause de non concurrence et de dénoncer immédiatement la convention que vous avez signée sans d’ailleurs l’avoir soumise au Conseil d’administration (CA) de l’OTC.

Car ce qui est déterminant ce n’est pas de savoir si l’opérateur présente un projet de desserte conforme « aux OSP votées par l’Assemblée de Corse » mais de vérifier que la programmation de services supplémentaires, donc de surcapacités, ne vienne pas obérer l’équilibre de la DSP et mettre en cause les obligations contractuelles liant l’autorité délégante, la CTC, et les délégataires. Voila pourquoi dans les réponses à cette consultation publique les low costs CFF et CL réclament les OSPG contrairement aux actuels délégataires qui privilégient la DSP.

L’intérêt de la DSP, en effet, c’est qu’elle permet contrairement à ce que vous affirmez une plus grande maitrise de l’autorité délégante avec la possibilité de faire jouer l’équilibre entre les lignes les plus rentables et celles qui ne le sont pas ou pas du tout, et d’exiger des opérateurs de service public un haut niveau de services en qualité et en sécurité avec d’importantes retombées économiques et sociales obérer dans ce schéma low cost.

La précipitation avec laquelle vous avez délivré votre autorisation est donc étonnante alors qu’un délai raisonnable est prévu pour examiner une telle demande d’ouverture de ligne supplémentaire en OSP. La transparence aurait voulu que dans ce rapport nous puissions disposer des éléments d’une analyse objective précédent la signature de cette convention avec Corsica linéa.

Curieuse aussi est l’amnésie du repreneur de la SNCM qui était signataire comme les autres candidats de cette clause de non concurrence. Au final il préconisera une fusion prélude incertain à la création d’une compagnie régionale sur un partenariat public privé (PPP) et deux société d’économie mixte (SEM) l’une destinée à l’exploitation l’autre à l’investissement. Ce partenariat conduirait la CTC à porter la charge du matériel naval tout en partageant les risques de l’exploitation conduite par les acteurs privés qui ont à l’évidence vos faveurs et annoncent de grands projets irréalistes sur le plan économique et quel qu’en soit le coût social.

L’enjeu de cette partie de poker menteur c’est bien la flotte. Or il semblerait que la banque épaulant Rocca Transport veuille se retirer. L’ouverture illégale de la ligne Corsica linéa, à défaut de plomber la trésorerie de la nouvelle SNCM, aura eu pour effet de remettre sur la table le risque d’une cessation de paiement.

C’était sans doute le but recherché de cette opération. Si elle devait aboutir avec votre caution, elle conduirait à ce que le consortium dirigé par les plus gros patrons corses exerce un rôle ultra dominant sur l’économie insulaire pour continuer à dégager les marges les plus confortables au détriment des consommateurs déjà victime depuis des années du détournement des réfactions TVA réalisé par ces mêmes entreprises.

Le patronat insulaire, qui n’a jamais accepté la régulation publique, a toujours combattu le principe initial de continuité territoriale malgré la défaillance avérée des opérateurs privés des décennies durant. L’affrontement, aux accents poujadistes, entre patrons corses puis leur rabibochage n’est pas fait pour défendre l’emploi en Corse et encore moins le pavillon français premier registre qui procure aux salariés une véritable protection sociale. Depuis 20 ans, malgré la zone franche et les dispositifs fiscaux très généreux, les quelques 80 M€ annuels dont ils ont bénéficié n’ont pas été mobilisés pour l’emploi. L’augmentation constante du chômage le confirme. Ils n’ont pas non plus permis d’enregistrer une augmentation des salaires qui restent exagérément bas.

La promesse d’embaucher des marins corses n’engage ainsi que ceux qui y ont cru. « Le nouveau modèle » dont il est question c’est celui du Stena carrier, un modèle jumeau de celui CFF, très peu de corses embarqués et pour ceux qui l’ont été ou le seront un jour des conditions de travail indignes.

Reste à connaitre la décision du TC de Marseille s’agissant d’une telle fusion qui en l’état ne peut être acceptée. Comme l’a fait remarquer le procureur de la République c’est une façon de mettre en cause celle du 20 novembre en ramenant à la table deux candidats à la reprise de la SNCM non retenus. C’est pourquoi toujours dans votre interview à Corse Matin vous indiquez ne pas vouloir « laisser la main au TC de Marseille ». Autrement dit vous n’êtes pas choqué que les décisions du TC soient bafouées.

Apparemment, il en est de même à propos de la décision du Tribunal administratif (TA) de Bastia prononçant la résiliation de la DSP en avril 2015 puisque vous précisez dans le calendrier qu’au mois de septembre la CTC devra avoir recours à une convention transitoire d’exploitation pour prolonger d’octobre à mars 2017, sauf incompréhension de ma part la subdélégation.

Nous ne sommes pas convaincus de la fiabilité juridique de ce choix qui mériterait à tout le moins une consultation du TA de Bastia. Dans ce sens, si ce que nous craignons devait se confirmer les dirigeants de CFF ne manqueront pas le coup et il se pourrait que la CMN soit entrainée dans le tourbillon dès le mois d’octobre prochain de surcroit avec un actionnaire principal atone face à la concurrence déloyale.

Enfin, votre raisonnement consiste également à réaliser une économie de 26 M€. Le schéma désastreux d’une DSP ramenée à la portion congrue que vous proposez est fait pour. Mais à quel prix ? Sans connaitre les capacités résiduelles que vous maintiendrez sur les ports secondaires (non viables sans compensation) ce sont 400 000 ML de fret et 128 000 places passagers que vous supprimez.

Inutile d’insister pour comprendre que cette réduction drastique du périmètre de la DSP aura un lourd impact y compris pour la CMN et au-delà pour l’emploi de la main d’œuvre portuaire et les sous-traitants en Corse.

Les Chambres de commerce (CCI) pourront utiliser les excédents pour « refaire les infrastructures portuaires et aéroportuaires » dites-vous. Un temps, cela permettra de couler beaucoup de béton et de goudron mais croire qu’une telle économie puisse ne pas se traduire par une réduction de la dotation de continuité territoriale c’est mal mesurer le risque encourue en période d’austérité qui plus est.

L’abandon de la DSP sera d’autant plus destructeur que le ligne par ligne et les OSPG ouvriront encore plus la desserte aux prédateurs du service public que sont les compagnies low cost sous pavillon étranger de surcroît. Vous comptez redéfinir « le paysage des opérateurs » de cette façon en maintenant « une concurrence raisonnable ». Sauf que cette logique ultralibérale s’y oppose fondamentalement.

Ainsi une situation de monopole d’intérêts privés verra le jour au détriment de l’emploi, du développement économique et social et de l’environnement avec les surcapacités en été. La multiplication des opérateurs fera croire à une absence de monopole mais dans les faits "le partage du gâteau" entre les low cost qui se multiplieront sur un marché très étroit sera catastrophique pour la Corse.

En conséquence nous voterons contre ce rapport.

Explication de vote

Vous venez de dire il ne faut pas lésiner. Toutes les pistes doivent être examinées. Néanmoins il en est une qui ne semble pas avoir vos faveurs je veux parler de celle, entérinée devant le TC de Marseille le 20 novembre dernier, qui repose sur un plan de cession avec un projet industriel ayant fait l’objet d’une négociation de l’ensemble des organisations syndicale avec les administrateurs judiciaires et le repreneur de la SNCM.

Il permet de sauvegarder 900 emplois de disposer d’une flotte permettant de desservir dans le cadre de la DSP l’ensemble des ports de la Corse et de maintenir un rayonnement en méditerranée avec la desserte du Maghreb.

Vous pouviez conforter ce choix en refusant l’ouverture de la ligne sur Bastia par Corsica Linéa. Alors même que le procureur vient de déclarer que c’était illégal en requérant une astreinte journalière de 150 000 euros pour sanctionner cette concurrence déloyale vous ne le faites toujours pas.

En conférence des présidents vous nous avez dit qu’il fallait absolument délibérer pour donner un signe fort avant le 5 mars faute quoi, les difficultés de MCM étant trop importantes, la liquidation judicaire serait probable et il n’existerait plus aucune autre alternative. Ainsi en n’adoptant pas votre délibération, selon vos propos nous mettrions en cause, les intérêts de la CTC comme ceux des salariés.

J’ai dit que vos arguments n’étaient pas convaincants car à l’évidence si la situation de MCM était si catastrophique la délibération n’y changerait rien. Au demeurant nous disposons à cet instant des attendus du jugement du TC de Marseille qui a statué aujourd’hui sur la poursuite du plan de cession en confirmant son attribution. Contrairement à ce que vous nous avez dit il est précisé que la MCM n’a pas de difficultés de trésorerie ce mois ci et qu’elle n’en n’aura pas non plus le mois prochain. Après paiement des salaires en février elle dispose de 3 M€ et elle sera en capacité d’honorer ses dettes sociales pour un montant de 225 000€.

Je vous entends répéter que les décisions du TC de Marseille n’ont que peu d’influence après avoir expliqué qu’il fallait s’en affranchir. C’est une curieuse conception de l’Etat de droit.

Pour ce qui nous concerne même dans cette dernière version, bien édulcorée par rapport à la précédente, nous ne voterons pas votre délibération.

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