la politique d’aménagement du territoire doit permettre de freiner les effets de la crise
Intervention à l'Assemblée de Corse session du 9 avril 2015
Le projet de PADDUC a été arrêté par le Président du Conseil Exécutif de Corse le 20 novembre 2014. Il a été soumis, ensuite pour avis, à l’autorité de l’Etat compétente en matière d’environnement, au Conseil Economique Social et Culturel de Corse et au Conseil des sites. Dans ce cadre vous nous proposez aujourd’hui un ensemble de modifications prenant en compte ces avis de manière à renforcer la fiabilité juridique de ce document indispensable à la mise en œuvre d’une politique d’aménagement du territoire cohérente et durable.
Il n’est pas inutile d’insister ici sur le risque de voir ce PADDUC franchir les portes du Conseil Constitutionnel sur la notion de peuple corse comme sur celle de co officialité de la langue l’une et l’autre figurant au préambule. On se souvient des difficultés surgies au moment de la signature de la convention tripartite Etat Région Université pour ne pas minorer un tel risque. Même si nous comprenons le choix de l’Exécutif de maintenir le texte dans sa rédaction initiale, nous pensons qu’une analyse juridique concernant la portée réglementaire du préambule aurait du être jointe au rapport.
Cela étant l’autre aspect de légalité sur lequel il faut être attentif c’est celui du respect du principe de libre administration des collectivités locale. S’il est indéniable que peu de communes disposent de documents d’urbanisme locaux et que leur élaboration est indispensable pour avoir une vision stratégique de leur territoire, la CTC ne peut se substituer à elles. Il appartient donc à ces élus, à l’égard desquels nous nous garderons bien de jouer les censeurs, aux populations concernées, de définir dans ce cadre l’aménagement de leur propre territoire et éventuellement d’avoir recours à l’AAUC créée pour cela.
Le PADDUC, document cadre de planification et d’aménagement avec lequel devront être compatibles les documents d’urbanisme locaux doit être partagé et non rejeté, quand bien même il aurait franchi toutes les étapes pour être opérationnel. C’est le sens de la démarche de co-élaboration, voulue dès le départ à travers les assises du foncier et du logement et celles du littoral, et confirmée, d’une part, tout au long de l’élaboration du PADD et du SAT et d’autre part, par la délibération du 13 mars 2015, qui a permis d’associer des personnes et organismes publics (PPA) jusqu’à l’adoption définitive du PADDUC, après enquête publique.
L’élaboration de ce PADDUC nous a montré l’impérieuse nécessité de reprendre la main, là où trop longtemps la volonté spéculative, l’affairisme et dans certains cas, le gangstérisme exercent une pression mettant en cause le droit, l’environnement et la vie humaine. C’est pour cela que nous avons refusé, le modèle économique de la rente, assis sur la promotion quasi exclusive du tourisme, voire du tourisme de luxe, dommageable à notre environnement, et qui a été le modèle de référence de ces trente dernières années pour privilégier un modèle tourné vers la production et la promotion d’une agriculture locale et saine, un modèle encourageant une économie sociale et solidaire pour répondre aux besoins des habitants de cette île.
Nous y avons vu l’intérêt également de soutenir les énergies renouvelables, le développement des nouvelles technologies notamment en milieu rural, comme moyen de répondre aux problèmes de déplacement, l’amélioration du réseau routier, le transport ferroviaire, l’essor des circuits courts... bref les éléments qui déterminent le concept d’économie circulaire. Nous y ajoutons le maintien des services publics indispensables au bien être des populations. C’est pour cette raison que nous dénonçons aujourd’hui l’impact négatif d’une réforme territoriale dont le seul objectif est de réduire la dépense publique, de faire des économies d’échelle au détriment des usagers et de l’emploi utile.
Dans la même logique, nous dénonçons en matière de transports, les choix politiques et économiques qui privilégient la concurrence déloyale des low cost au détriment des opérateurs délégataires du service public de continuité territoriale, appelés à être sacrifiés sur l’autel de ce libéralisme débridé. La logique low cost est l’antithèse d’un modèle de développement harmonieux pressenti, avec les centaines d’emplois qu’elle menace.
En ce sens, nous pensons que la politique d’aménagement du territoire doit permettre de freiner les effets de la crise non de les augmenter comme c’est le cas aujourd’hui, en y ajoutant l’austérité au point d’anéantir les quelques bénéfices engendrés par le PEI et la commande publique, seuls ressorts pour l’heure de la croissance dont les fruits injustement répartis, c’est tout un symbole, ont contribué, en même temps au creusement des inégalités. Aujourd’hui la Corse compte 22 000 chômeurs, le taux de pauvreté des ménages y est de 19.7 % contre 14 % au plan national.
Ces personnes sont souvent en difficulté pour se loger alors que des centaines de logements neufs, invendus, constituent une bulle immobilière menaçante, et que la pénurie de logements sociaux aggrave les tensions sur le marché. Une telle urgence sociale interpelle et appelle des mesures immédiates en matière de politique du logement et particulièrement du logement social. C’est une façon de souligner l’intérêt d’avoir inclus une charte de lutte contre la précarité mais celle-ci n’aura véritablement d’intérêt qu’à partir du moment où l’orientation nouvelle se traduira dans le vécu quotidien des corses par une amélioration sensible en termes d’emploi et de pouvoir d’achat de recule du chômage et de la cherté de la vie.
Le PADD à juste titre, fixe comme objectif le doublement de la production agricole d’ici à 2030, il prévoit avec le SAT de réserver 105 000 hectares d’espaces agricoles cultivables ou irrigués au titre d’espaces stratégiques et 120 000 hectares pastoraux. Ces dispositions réglementaires ont fait l’objet de plusieurs remarques du Conseil des sites et de certains maires à travers la consultation des personnes publiques associées (PPA). Sans porter atteinte à l’objectif principal en termes de production agricole, le retrait du quota d’érosion de 1% des surfaces de terres agricoles à potentialité, qui pouvait conduire à une consommation excessive d’ESA, garantira mieux l’objectif de préservation des terres et de leur mise en production.
Tel qu’arrêté en novembre 2014, le PADDUC délimitait des espaces dits mutables (EMUE) dans les secteurs à forts enjeux urbain et économique. Dans ces espaces un quota d’érosion de 10 % de consommation d’espaces agricoles était envisagé avec des conditions préalables strictes pour leur changement de destination, un dispositif complexe, une DUP et des délibérations concordantes des collectivités locales et de la CTC, alors que cette dernière n’en a pas la compétence. Il s’agissait d’encadrer la consommation d’espaces agricoles à proximité de zones urbaines comprises dans le périmètre de ces territoires.
Comme le soulignent les Chambres d’agriculture, les EMUE avaient comme effet de créer un double processus de pression foncière et de rétention foncière par une délimitation mettant en avant la mutabilité à travers le possible changement de destination des sols dans les zones de production agricole périurbaine. D’autre part, comme le souligne l’autorité environnementale, la complexité du processus et les conditions dissuasives posées à la constructibilité dans ces périmètres auraient poussé les aménageurs à éviter les EMUE pour leur préférer les ESA hors EMUE, ce qui aurait eu un effet contraire aux objectifs du PADDUC, c’est-à-dire la consommation d’espaces agricoles dans des secteurs sans enjeux urbains et l’étalement urbain.
Le remplacement des EMUE par des Secteurs d’Enjeux Régionaux (SER) trouve donc sa justification. Sans délimitation précise, ils reprennent les orientations initiales spécifiques à chaque territoire et décrivent un processus d’aménagement d’ensemble dans le prolongement des dispositifs existants. Ces modifications faciliteront tout à la fois la lisibilité et la réactivité donc la facilité pour les collectivités dans la réalisation de leurs projets d’aménagement sans déroger aux principes essentiels du PADDUC. Il ne s’agit pas de laxisme mais véritablement d’efficience.
S’agissant du Conseil des sites nous avons noté qu’il est recommandé que : « le PADDUC veille à l’élaboration d’une doctrine homogène pour encadrer l’attribution des autorisations d’occupation temporaire dans le domaine public maritime ainsi que les aménagements dans la bande des 100 mètres assurant la réversibilité des installations, leurs qualité architecturale et esthétique ainsi que leur bonne intégration paysagère ». Toutefois si nous savons que le PADDUC ne permet à la CTC d’intervenir sur le DPM mais uniquement sur la bande des 100 mètres, nous pensons que cette recommandation invitant à établir une doctrine pour encadrer l’attribution des AOT serait utilement accompagnée d’une doctrine équivalente sur le DPM.
Dans le contexte économique et social telles sont les remarques que nous voulions faire en prenant en compte les modifications proposées afin que ce document indispensable pour engager une politique cohérente d’aménagement du territoire poursuive son chemin à travers l’enquête publique.