Mr Freeze est à Matignon
Débat à l'assemblée de Corse sur la programmation et l'utilisation des fonds européens intervention de Michel Stefani.
Le 25 mai montrera, avec les élections européennes, que l’Europe telle qu’elle a été construite et se construit encore aujourd’hui ne répond aux attentes sociales et populaires de nos compatriotes. C’est pourquoi, l’exercice auquel nous sommes conviés à propos de la « stratégie régionale de gestion des fonds européens » est paradoxal. Il s’agit d’établir par la programmation l’utilisation des fonds européens sur les six prochaines années. Ces fonds ont, en principe, une vocation essentielle celle de permettre la réduction des écarts de développement et de promouvoir la cohésion économique et sociale au sein de l’Union européenne. Cette cohérence reste un objectif prioritaire affirmé selon lequel il s’agit de favoriser un développement équilibré et durable, créateur d’emplois, protecteur de l’environnement et réducteur des inégalités de tous ordres, entre territoires, entre individus, entre hommes et femmes, entre générations.
Comment serait il possible, en énonçant ces principes, de perdre de vue ce qu’a été la précédente programmation inspirée par la stratégie de Lisbonne déjà très libérale avec des effets d’autant plus contradictoires que l’enfoncement dans la crise s’est traduit par une accentuation de cette politique. La dépense publique sociale est dans le collimateur le soutien aux marchés financiers outrageusement mis en œuvre. C’est l’austérité à tous les étages Europe Etat région collectivités locales. On nous parle d’un sous SMIC, de travailleurs détachés, de coût du travail pour faire oublier le coût exorbitant du capital. Plus question de taxer les transactions financières ! C’est le règne incontestable du marché et surtout de ceux qui le pilotent dans leur propre intérêt spéculatif. Les inégalités se creusent en Europe, la pauvreté et le chômage y font des ravages dont l’intensité peut se mesurer au regard des révoltes sociales qui après la Grèce éclatent en Espagne.
Récemment, le Réseau européen de lutte contre la pauvreté (EAPN), constatait « une aggravation des déséquilibres sociaux (…) et l’aggravation de l’impact social de la crise par les mesures d’austérité. Le chômage, la pauvreté et les inégalités atteignent des niveaux record ». La déclinaison de cette politique dans notre pays au lendemain des élections municipales est éloquente. Moins 18 milliards d’euros pour les services utiles de l’Etat. Moins 21 milliards d’euros de coupe dans les budgets sociaux et de la protection sociale. Moins 11 milliards d’euros pompés sur les budgets des collectivités locales.
Mr freeze, est à Matignon Manuel Valls répands son fluide glacial. Pour les salariés du secteur public, comme La Poste ou les hôpitaux, les enseignants ou les employés communaux, les salaires seront gelés. Ils l’étaient depuis 2010 avec le gouvernement Fillon ! Le gel des allocations logement, familiales et d’invalidité va lourdement pénaliser les foyers modestes. Alors oui dans ce contexte cette programmation constitue plus encore pour la CTC un enjeu considérable pour résister à cette politique. Car effectivement elle est « autorité de gestion » de l’ensemble des fonds. C’est une opportunité, à condition de réaliser une gestion cohérente des fonds réellement adaptée aux spécificités régionales, en phase avec des orientations en matière de développement, afin de cofinancer les politiques et les projets avec un objectif central le progrès social.
L’intérêt principal de ce transfert, nous l’avions indiqué fortement quand il s’est opéré, était de permettre à notre collectivité de mieux faire face à la crise, de faire reculer le chômage et les inégalités sociales mieux que lorsque la gestion incombait à l’État central. Une évaluation sérieuse est nécessaire de ce point de vue mais il est vrai que les derniers chiffres du chômage tendent plutôt à une appréciation négative des résultats obtenus. Pour l’instant, on voit bien les contraintes et les obligations envers la Commission, la responsabilité du Président du Conseil Exécutif devant celle-ci ; en revanche, la latitude d’action paraît bien mince tant sont prégnantes les conditions stipulées par les règlements européens. Dans le cadre d’un budget global de la politique de cohésion pour la période 2014-2020, avec 351,8 Mds d’€ ( contre 347,4 pour la période 2007-2013), la France dispose d’une enveloppe de 14, 238 milliards, dont 3,9 au titre du régime transitoire applicable aux dix régions, dont la Corse, sortant de l’Objectif n°1. La Corse bénéficiera d’une enveloppe de 298,3 M€ contre 292,8 M€ pour l’actuelle programmation.
Il n’y a donc pas, contrairement à ce qui avait été avancé ici ou là, de diminution résultant d’une répartition pénalisante faite par l’État français, mais au contraire, une légère progression de 1,87%. Une réduction des dotations sur les fonds européens pour la Corse aurait été incohérente et contraire aux engagements pris à travers la dernière tranche du PEI offrant, sauf erreur, la possibilité d’orienter le PO FEDER sur des actions nouvelles. Cependant, cette progression est due à l’abondement du FEADER (+ 52,30 M€) tandis que l’ensemble FEDER-FSE passe de 137,6 à 124 M€ (sans tenir compte de la non reconduction de l’enveloppe additionnelle exceptionnelle de 33,7 M€ destinée à compenser la sortie de l’Objectif 1). Notre analyse est donc nuancée sur ce plan car cette régression impactera les fonds destinés à l’innovation, aux technologies numériques, à la transition énergétique mais aussi à la politique de la ville, à l’insertion, à la formation, autant de domaines prioritaires comme le montrent les indicateurs concernant la Corse. Nous sommes d’autant plus perplexes que les programmes opérationnels s’inscrivent dans le cadre d’exigences accrues de l’Union européenne ; 60 % des dotations doivent aller aux axes 1 à 4 (recherche-développement-innovation, tic, compétitivité des entreprises, transition énergétique) alors que les actions envers les populations vulnérables dans les territoires urbains et péri urbains sont plafonnés à 10 % des crédits.
L’analyste Antonio GAMBINI note « la concentration sur le taux d’emploi opérée par la commission n’est pas une garantie de cohésion sociale, bien au contraire. La prolifération de travailleurs à statut précaire et sous-payés est aux antipodes de la cohésion sociale, mais fait augmenter le taux d’emploi. La question de la qualité de l’emploi (y compris les salaires) devrait être absolument réintégrée dans la stratégie ». Ce n’est pas le cas. Or, nous avons en Corse un taux d’emploi de 10 points inférieur à l’ensemble de la France, un taux de décrochage scolaire supérieur et un nombre inférieur de diplômes et surtout un taux de pauvreté nettement supérieur. Par conséquent il faudrait pouvoir conduire un effort appuyé sur ces axes 6 et 7. En ce sens, le principe fondamental est que la stratégie régionale soit au service de la stratégie de l’« Europe 2020 » qui prolonge la précédente celle de Lisbonne qui n’avait pas atteint les objectifs assignés : faire émerger l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde afin de parvenir au plein emploi avant 2010. La nouvelle stratégie affiche trois priorités : une croissance intelligente fondée sur la connaissance et l’innovation ; une croissance durable fondée sur une économie plus efficace dans l’utilisation des ressources ; une croissance inclusive avec une économie à fort taux d’emploi favorisant la cohésion sociale et territoriale. Sauf que l’encadrement des politiques sacrifie la question sociale et élude la question fondamentale de la régulation des marchés financiers, indispensable à une sortie durable de la crise. Concentrée sur la « compétitivité », elle ne fait pas non plus progresser la dimension environnementale.
Répondant au vœu des lobbys patronaux, « Europe 2020 » ne fait qu’actualiser la stratégie de Lisbonne, reprenant les formules consacrées « une règlementation intelligente » diminuant « le fardeau administratif pesant sur les entreprises », l’approfondissement du marché unique grâce à la directive « services » (« Bolkestein ») – et appelant à la déréglementation, aux privatisations et au démantèlement des services publics. Cette stratégie, liée aux politiques d’austérité menées conformément au Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) enfonce l’Europe dans la récession et nous la récusons absolument. Cela étant, l’apport des fonds européens est nécessaire au financement de projets voulus par la CTC, et en particulier à la mise en œuvre du modèle de développement inscrit dans le PADDUC pour répondre aux besoins sociaux et des territoires dans le cadre de la politique de la ville, d’actions en direction des étudiants, de soutien à l’orientation, à la qualification, à l’information ; pour prévenir les risques naturels, réussir la transition énergétique et enfin accompagner les entreprises productives.
Dans ces conditions difficiles, l’Exécutif s’est cependant efforcé de prendre en compte les besoins propres à la Corse et propose d’élaborer une stratégie pluri-fonds « visant à favoriser la synergie entre les fonds ». Des lignes de partage –est-il écrit- entre FEDER-FSE et FEADER et Programme de coopérations pourraient permettre de couvrir les besoins du territoire, en particulier « la prévention des différents risques naturels et la lutte contre la vulnérabilité et la précarité des populations ». Nous prenons acte de cette volonté et nous ferons des propositions lors de la session plénière à cet effet. Le document présenté appelle toutefois des réserves qui ne tiennent pas à la volonté de l’Exécutif, dont nous saluons l’action pour éviter les dégagements d’offices, mais aux limites étroites fixées par les règlements des fonds structurels et d’investissement européens. Le Président du Conseil Exécutif s’apprête à négocier le PO avec l’État et la Commission européenne ; nous souhaitons que ce projet puisse évoluer dans le sens d’une plus grande prise en compte des besoins spécifiques à la Corse, en particulier dans le domaine social.